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été même obéi ? Est-ce moi qui ai fait assassiner, an mépris de mes traités, les ci-devant comtes de Geslm et de Tristan ? Est-ce moi qui ai fait promener la tête de Boishardy à travers les campagnes, pour leur montrer quels effets devaient suivre me9 paroles de paix ? Ces crimes, malgré mes instances, sont encore impunis. Eh bien ! les brigands, comme nous disons, ont du sang dans les veines, et ils le prouvent ! — Ainsi, nous avons des chouans en armes, disais-tu ?

— Le pays est en feu depuis le Bas-Maine jusqu’au fond de la Bretagne : Pluvigner est aux mains des brigands. Ils ont surpris et capturé dans les eaux de Vannes une de nos corvettes. Duhesme a été battu devant Plclan, Humbert à Camors. N09 magasins de Pont-deBuis. dans le Finistère, sont pris ; nos cantonne mens dans tout te Morbihan forcés et détruits.

— Est-ce tout ? dit le général, qui affectait d’écouter le récit de tous ces désastres avec autant d’indifférence que le représentant mettait de complaisance à les énumérer.

— Non. ce n’est pas tout : un Bourbon est à la tête des rebelles.

— Que dis-tu ? c’est impossible ! s’écria le jeune chef républicain, perdant tout à coup l’air d’insouciance dont il avait couvert jusque-là sa fierté blessée. Ce serait terrible !… ajouta-t-il d’une voix plus basse.

— Cela est certain. Duhesme et Humbert l’ont vu ; Humbert même lui a parlé pendant le combat. C’est, dit-on, le ci-devant comte d’Artois, un frère de Capet.

— Le comte d’Artois ! Impossible ! dit encore le général, dont les gestes animés trahissaient une profonde agitation d’esprit. Il n’y » qu’un instant, quand tu es entré justement, on m’apprenait l’arrivée de son aide-de-camp, le ci-devant marquis de Rivière, au quartier de Charetle ; mais du prince, rien ; il n’avait pas quitté le sol anglais… Et par où ? — comment ? — à quelle minute fatale aurait-il pu mettre le pied eu Bretagne ?

— C’est sur cette question précisément, citoyen général, que je désire prendre ton avis. La surveillance active pratiquée sur tous les points de la côte donne à l’apparition du ci-devant prince un tel caractère, qu’on ne peut l’expliquer sans de fâcheuses conjectures. Le mot de trahison a été prononcé.

Le général, sortant de son attitude pensive, se redressa avec vivacité, et croisant son regard de feu avec l’œil dur et froid du conventionnel, il répéta, d’une voix que l’émotion faisait trembler : —Le mot de trahison a été prononcé ? — Contre qui ?

— C’est te méprendre à plaisir sur la portée de mes paroles, citoyen général, personne ne songe à te soupçonner.

— Et pourquoi non ? répliqua le jeune homme avec amertume. N’ai-je pas dû m’y attendre du jour où j’ai voulu rendre cette