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souffle le vent populaire, afin de se mettre à la tête de cet immense courant qui vous porte droit au pouvoir. Quand il fut manifeste que l’ardente et aventureuse population de l’ouest voulait l’annexion du Texas, tous les partis et tous les hommes politiques mirent en avant leur plan particulier pour acquérir cette province. Bien peu d’hommes ont eu le courage, deux ans plus tard, de combattre et de flétrir la guerre spoliatrice faite au Mexique, et quand les idées de conquête, un moment assoupies aujourd’hui, agiteront de nouveau les masses populaires, certains hommes politiques, dont le programme est déjà tout prêt, se mettront à demander la conquête de l’île de Cuba et l’annexion du Canada, peut-être même de toutes les colonies anglaises de l’Amérique du Nord. Le général Scott, qui est un whig, a déjà dit qu’il espérait voir le Canada entrer un jour pacifiquement dans l’Union américaine ; le général Cass, qui est un démocrate, s’est déclaré prêt à le conquérir avec son épée. Mais laissons là l’avenir, et, revenant au présent, montrons par un exemple avec quelle promptitude les partis tournent à leur profit les moindres variations de l’opinion publique.

Après l’élection présidentielle de 1844, dans laquelle les whigs éprouvèrent une défaite inattendue, parce que les deux états de New-York et de Pensylvanie, dont ils se croyaient sûrs, donnèrent aux démocrates une majorité de quelques voix, les vaincus imputèrent leur échec aux fraudes électorales de leurs adversaires : ils accusèrent, avec quelque fondement, les démocrates d’avoir fait voter à New-York un certain nombre de Canadiens, arrivés le matin et repartis le soir par le chemin de fer ; ils les accusèrent, avec bien plus de fondement encore, d’avoir fait voter, à l’aide de faux certificats, un grand nombre d’Irlandais qui n’avaient point acquis la naturalisation. C’est là une fraude qui se pratique perpétuellement, et qui ôte aux élections des grands ports de mer toute espèce de sincérité ; car c’est par milliers qu’on fabrique de faux électeurs en transformant en citoyens improvisés les émigrans qui débarquent chaque jour aux États-Unis. Rien n’est plus facile que de déterminer les émigrans et surtout les Irlandais à voter dès le lendemain de leur débarquement ; mais le grand art des courtiers électoraux consiste à persuader à Paddy[1] qu’il a bien réellement le droit de voter. On raconte la colère d’un Irlandais dont un président de scrutin refusait le bulletin, et qui s’écriait avec indignation qu’il s’était présenté le matin même en huit autres endroits, et que personne ne lui avait encore fait l’affront de refuser son petit papier. La durée du séjour nécessaire pour acquérir la naturalisation est si courte, que les autorités municipales ne font jamais difficulté de délivrer le certificat qu’on leur demande, et il est bien plus

  1. Nom générique des Irlandais.