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profondes. Toutefois cette organisation, fort étrange au premier abord, est au fond celle de tous les acéphales, et l’anatomiste philosophe saura sans peine y retrouver les caractères essentiels du type général.

À voir cette coquille si mince et si fragile, ces tissus demi-transparens, ce corps mou et presque incapable de mouvemens, nul ne soupçonnerait que le taret puisse être à craindre, et pourtant ce mollusque est pour l’homme un ennemi des plus redoutables. Les tarets attaquent tous les bois submergés à peu près comme les larves d’insectes vulgairement appelés vers attaquent les bois exposés à l’air libre. Qu’on se figure ce que deviendraient nos arbres, nos meubles, les poutres et les solives de nos toits rongés par des vers d’un pied de long, et l’on comprendra les ravages exercés par ces mineurs obscurs dont rien ne trahit le travail. En quelques mois, en quelques semaines, des planches épaisses, des madriers de chêne ou de sapin parfaitement intacts en apparence sont quelquefois vermoulus de telle sorte qu’ils n’offrent plus aucune résistance, et cèdent au moindre choc. Aussi a-t-on vu des navires s’ouvrir en pleine mer sous les pieds des marins que rien, n’avait avertis du danger ; aussi dans le commencement du dernier siècle, la moitié de la Hollande faillit-elle périr sous les flots ; parce que les pilotis de toutes ses grandes digues s’étaient rompus à la fois, minés par les tarets. Pour prévenir à coup sûr le renouvellement de pareils désastres, on n’a encore trouvé qu’un seul moyen, c’est de revêtir les constructions en bois sous-marines d’une véritable cuirasse de métal. Le doublage en cuivre des vaisseaux a principalement pour but de les protéger contre l’atteinte des tarets[1]. Malheureusement ce procédé est inapplicable dans les magasins de bois submergés, et chaque année les chantiers publics ou privés paient à ces mollusques destructeurs un tribut considérable. De nos jours cependant, la science tient à la disposition de l’industrie des ressources inconnues à nos pères, et il est, je crois, très facile de détruire les tarets dans un espace déterminé, par conséquent de mettre les chantiers complètement à l’abri de leurs attaques. Comme presque toutes les applications, celle-ci touche à quelques-uns des points les plus délicats de la zoologie, elle se rattache à l’étude de ces fécondations artificielles dont j’ai déjà parlé dans cette Revue[2], et quelques détails deviennent ici nécessaires.

Parvenus à l’état adulte, les tarets vivent seulement dans leurs galeries,

  1. D’après quelques expériences faites en Angleterre, les bois qui ont long-temps macéré dans une dissolution de sublimé corrosif ne sont plus perforés par les tarets ; mais ce procédé de conservation est beaucoup trop dispendieux pour être appliqué en grand. On pourrait cependant, ce nous semble, employer des planches minces rendues aussi inattaquables pour le doublage au moins des petits caboteurs qui fréquentent les ports infectés par ces mollusques. Il y aurait certainement économie à les substituer au cuivre.
  2. livraison du 1er janvier 1849, article intitulé Animaux utiles, — le Hareng.