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et d’états généraux exerçant un haut contrôle sur les états provinciaux, délibérant sur les chargés extraordinaires à imposer, donnant leur avis dans toutes les grandes affaires du pays et s’assemblant de droit toutes les trois années[1]. — L’état la province et la commune, dans leurs rapports entre eux et avec les citoyens, forment l’objet complexe où s’applique l’esprit du publiciste de la Gironde, et il confère à la province et à la commune des attributions qui renferment en même temps la surveillance publique et le soin de leurs intérêts spéciaux. — Se préoccupant avant tout de l’état et de la commune, l’honorable représentant du Gard professe ces maximes : Aux élus des localités, l’administration des affaires locales ; aux agens directs du pouvoir central, la police générale.

Le livre de M Béchard offre un double plan d’attaque. Si, d’une part, il bat en brèche la centralisation administrative, de l’autre, il réagit contre les théories économiques du laissez-faire, du laissez-passer, théories d’où découlent, comme autant de conséquences inévitables, « la concurrence sans frein ; la production sans limites, l’antagonisme perpétuel entre les maîtres et les ouvriers, l’alternative des exigences immodérées des travailleurs et de l’abaissement indéfini des salaires, la transformation de chaque industrie en une arène, de chaque ville manufacturière en un foyer permanent d’émeutes. » Est-ce à dire toutefois qu’en haine du principe de liberté sans bornes, il faille se rejeter dans les liens assujétissans des anciennes associations ou recourir à la servitude, rêvée par les socialistes sous le nom de solidarité des intérêts ? M. Béchard est un esprit trop judicieux pour tomber dans l’un ou l’autre excès. Dans leur formule un peu vague, voici le résumé de ses idées à cet égard : « Libre expansion de l’activité humaine à tous les degrés de l’échelle, depuis la famille jusqu’à l’état, sous la garantie des lois protectrices des intérêts généraux ; organisation au sein de chaque commune, sous la direction de mandataires librement élus et sous la surveillance de l’état, d’un système d’associations libres pour les progrès de l’agriculture et de l’industrie, du culte, de l’enseignement, de la bienfaisance publique. »

C’est un problème grave que le double, problème posé dans l’ouvrage de M. Béchard. La logique historique, inflexible jusqu’à ce jour dans sa marche vers l’unité de plus en plus générale et absolue, va-t-elle se donner un démenti à elle-même et remonter sa vieille pente ? Cette grande conquête de nos pères, dont ils furent si heureux et si fiers, — la liberté du travail, — n’est-elle qu’un héritage, ou funeste et qu’il faille répudier, ou douteux et qu’il soit prudent de n’accepter que sous bénéfice d’inventaire ? Redoutables questions ! qui feront le tourment et le trouble de cet âge, et de la solution desquelles dépend peut-être en partie l’accroissement nouveau de nos destins ou notre décadence irrémédiable ! Le mal actuel de la société est, nous le craignons, plus profond que M. Béchard ne l’imagine ; il n’a point son siège principal où il le dit, et les voies de guérison qu’il indique sont sûrement insuffisantes. Les municipalités romaines avaient plus d’attributions que l’honorable représentant ne propose d’en accorder à nos communes pour les vivifier, l’industrie et les métiers y étaient organisés par fortes corporations, et néanmoins le plus puissant des empires s’est lentement affaissé sur lui-même avant de finir de la main des barbares.

  1. Plans de Gouvernement, œuvres complètes de Fénelon, t. XXII, p. 579-82.