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équitable, il faut commencer par mettre hors de cause tous ceux (et leur nom est légion) pour qui le mot de jésuite n’est plus qu’un mot de passe, un cri de guerre. Certes, de toutes les apologies que l’on a essayées en faveur de cet ordre célèbre, il n’en est pas de plus éloquente ni de plus convaincante que la haine, cette haine furieuse et implacable que lui ont vouée tous les ennemis de la religion chrétienne ; mais, ceci admis, on ne peut se dissimuler que bien des catholiques romains, les plus sincères, les plus dévoués à leur église, depuis Pascal jusqu’à nos jours, n’aient cessé, de génération en génération, de nourrir une antipathie déclarée, insurmontable contre cette institution. Cette disposition d’esprit, dans une fraction considérable du monde catholique, constitue peut-être une des situations les plus réellement saisissantes et les plus tragiques où il soit donné à l’ame humaine de se trouver placée. En effet, que peut-on imaginer de plus profondément tragique que le combat qui doit se livrer dans le cœur de l’homme, lorsque, partagé entre le sentiment de la vénération religieuse, ce sentiment de piété plus que filiale, et une odieuse évidence, il s’efforce de récuser, de refouler le témoignage de sa propre conscience, plutôt que de s’avouer la solidarité réelle et incontestable qui lie l’objet de son culte à celui de son aversion ? Et cependant telle est la situation de tous les catholiques fidèles qui, aveuglés par leur inimitié contre les jésuites, cherchent à se dissimuler un fait d’une éclatante évidence, à savoir : la profonde, l’intime solidarité qui lie cet ordre, ses tendances, ses doctrines, ses destinées aux tendances, aux doctrines, aux destinées de l’église romaine, et l’impossibilité absolue de les séparer l’un de l’autre, sans qu’il en résulte une lésion organique et une mutilation évidente ; car si, en se dégageant de toute prévention, de toute préoccupation de parti, de secte et même de nationalité, l’esprit, appliqué à l’impartialité la plus absolue et le cœur rempli de charité chrétienne, on se place en présence de l’histoire et de la réalité, et qu’après les avoir interrogées l’une et l’autre, on se pose de bonne foi cette question : Qu’est-ce que les jésuites ? voici, nous pensons, la réponse que l’on se fera : Les jésuites sont des hommes pleins d’un zèle ardent, infatigable, souvent héroïque, pour la cause chrétienne, et qui pourtant se sont rendus coupables d’un bien grand crime vis-à-vis du christianisme ; c’est que, dominés par le moi humain, non comme individus, mais comme ordre, ils ont cru la cause chrétienne tellement liée à la leur propre, ils ont, dans l’ardeur de la poursuite et dans l’émotion du combat, si complètement oublié cette parole du maître : « Que ta volonté se fasse et non pas la mienne, » qu’ils ont fini par rechercher la victoire de Dieu à tout prix, sauf celui de leur satisfaction personnelle. Or, cette erreur, qui a sa racine dans la corruption originelle de l’homme, et qui a été d’une