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Et comment, à la vue de ce qui se passe, en présence de cette organisation nouvelle du principe du mal, la plus savante et la plus formidable que les hommes aient jamais vue, en présence de ce monde du mal tout constitué et tout armé, avec son église d’irréligion et son gouvernement de révolte ; comment, disons-nous, serait-il interdit aux chrétiens d’espérer que Dieu daignera proportionner les forces de son église à la nouvelle tâche qu’il lui assigne ? qu’à la veille des combats qui se préparent, il daignera lui restituer la plénitude de ses forces, et qu’à cet effet lui-même, à son heure, il viendra, de sa main miséricordieuse, guérir au flanc de son église la plaie que la main des hommes y a faite, cette plaie ouverte qui saigne depuis huit cents ans ?

L’église orthodoxe n’a jamais désespéré de cette guérison. Elle l’attend, elle y compte, non pas avec confiance, mais avec certitude. Comment ce qui est un par principe, ce qui est un dans l’éternité, ne triompherait-il pas de la désunion dans le temps ? En dépit de la séparation de plusieurs siècles, et à travers toutes les préventions humaines, elle n’a cessé de reconnaître que le principe chrétien n’a jamais péri dans l’église de Rome, qu’il a toujours été plus fort en elle que l’erreur et la passion des hommes, et voilà pourquoi elle a la conviction intime qu’il sera plus fort que tous ses ennemis. Elle sait de plus qu’à l’heure qu’il est, comme depuis des siècles, les destinées chrétiennes de l’Occident sont toujours encore entre les mains de l’église de Rome, et elle espère avec confiance qu’au jour de la grande réunion celle-ci lui restituera intact ce dépôt sacré.

Qu’il me soit permis de rappeler, en finissant, un incident qui se rattache à la visite que l’empereur de Russie a faite à Rome en 1846. On s’y souviendra peut-être encore de l’émotion générale qui l’accueillit à son apparition dans l’église de Saint-Pierre, — l’apparition de l’empereur orthodoxe revenu à Rome après plusieurs siècles d’absence ! — et du mouvement électrique qui parcourut la foule, quand elle le vit aller prier au tombeau des apôtres. Cette émotion était légitime. L’empereur prosterné n’était pas seul ; toute la Russie était prosternée avec lui : espérons qu’elle n’aura pas prié en vain devant les saintes reliques !


Saint-Pétersbourg, le 1er (13) octobre 1849.