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la mobilité du dilettantisme italien, et qui relèguent aujourd’hui Rossini au nombre des anciens, n’ont jamais eu cours en France : c’est à l’auteur du Barbier qu’il faut constamment revenir, lorsqu’on veut ranimer la curiosité publique. L’opéra de Matilde di Shabran offrait cet avantage, qu’étant un des premiers que le compositeur ait écrits ; et n’ayant pas été chanté en France depuis près de vingt ans, il réunissait, pour son nouvel auditoire, tout le piquant de la nouveauté avec tout le charme du souvenir. Dès les premières mesures, il est facile de reconnaître que Rossini, économe comme la plupart des riches, et n’ayant pas eu à se louer d’abord de l’accueil fait à cette partition, a soigneusement serré dans son écrin ses diamans et ses perles, pour les répandre plus tard sur d’autres ouvrages plus applaudis. C’est ainsi que, dans l’introduction, nous avons reconnu celle de la Gazza, dans l’air de Ronconi un passage du duo du Barbier, dans le finale quelques-unes des éblouissantes fusées de l’Italiana in Algieri. Ces airs de famille ne nuisent en rien à la grace et au succès de Matilde, qui pourrait réclamer d’ailleurs les droits de priorité. Ressembler à une personne aimée, n’est-ce pas déjà paraître aimable ?

L’exécution de Matités di Shabran est digne des belles époques du Théâtre Italien. M. Lucchesi, le nouveau ténor, a une voix souple, agile, étendue, qui manque un peu de timbre et d’éclat, mais qui se prête avec beaucoup d’aisance aux broderies de cette musique. Ronconi est excellent dans le rôle d’un poète gourmand, bavard, râpé et poltron, rôle bouffe où l’artiste réussit merveilleusement, comme toujours, à donner une valeur musicale aux lazzis les plus grotesques. Mme Persiani, dans le rôle de Matilde, a déployé tous les prodiges d’une vocalisation magistrale qui lutte de coquetterie et de finesse avec les mélodies du maître, et fait ressortir, par sa délicate transparence, tout ce que ces mélodies ont de qualités exquises et brillantes. Mme Persiani a rencontré une émule digne d’elle dans la personne de Mlle Véra, jeune débutante, adoptée, dès le premier jour, avec enthousiasme par le public du Théâtre-Italien. Le succès de Mlle Véra, unanime dans l’Elisir d’Amore, a été plus éclatant encore dans le rôle du page de Matilde di Shabran. Sa voix est un mezzo soprano plein de fraîcheur et de grace, qui descend facilement aux notes du contralto. Ce qu’elle excelle à exprimer, ce sont ces nuances, ces demi-teintes qui donnent au chant l’ame et la vie, et à l’aide desquelles la note, au lieu d’avoir une valeur uniforme et un éclat monotone, passe par mille alternatives de clair-obscur et de lumière. Le duo du troisième acte, chanté par Mmes Persiani et Véra, nous a rappelé ces soirées splendides où Malibran et Sontag se disputaient, dans Tancredi ou Don Juan, les bravos d’un auditoire transporté, où Rubini et Tamburini, dans le duo de Mose, renouvelaient, avec un succès égal, cette joute mélodieuse. Le Théâtre-Italien n’eût-il eu, en cette occasion, que le mérite de nous reporter, par la pensée, vers ces temps heureux où l’esprit pouvait goûter les jouissances et les triomphes de l’art sans craindre un douloureux réveil, ce serait assez pour nous engager à seconder ses efforts par notre empressement et nos suffrages.

À l’Opéra, l’activité et le zèle ne sont pas moindres ; après les brillantes représentations de la Filleule des Fées et de Mlle Carlotta Grisi, nous avons assisté le même soir à une pièce nouvelle, le Fanal, et à la rentrée de Mme Fanny Cerrito. Le Fanal n’est pas de nature à enrichir beaucoup le répertoire. C’est une de