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tagne en supposant que toutes ces hypothèses s’étaient naturellement présentées à l’esprit de ses orateurs ; autrement, pourquoi auraient-ils mis tant d’âpreté et de violence à attaquer ce malheureux impôt des boissons, dont le seul tort, à vrai dire, était de donner au budget des recettes de 108 millions ? La pensée de la montagne n’a pas besoin, du reste, d’être supposée ; elle s’est exprimée assez ouvertement dans le débat pour ne laisser de doute à personne. « La monarchie, a dit un orateur de la montagne, s’est réfugiée dans la fiscalité comme dans une forteresse ; l’impôt est la citadelle, et nous ne cesserons de l’attaquer. » Ce mot est un des plus caractéristiques et des plus francs qui aient été dits dans tout le cours de cette discussion. À la place du mot monarchie, qui est aujourd’hui, comme on sait, une expression convenue, mettez le mot société, et vous aurez, sinon la pensée même de l’orateur, du moins bien certainement celle d’une quarantaine de ses collègues qui ont accueilli sa déclaration avec des applaudissemens frénétiques. Oui, l’impôt est aujourd’hui la citadelle de l’ordre, et c’est pour cela qu’on veut y entrer. C’est pour cela aussi que l’impôt des boissons a été défendu, cette fois, non pas seulement par des financiers, par des économistes, mais par des hommes véritablement politiques, qui ont senti que la société, dans cette circonstance, était attaquée avec l’arme la plus dangereuse de toutes, celle de la philanthropie hypocrite, et que, si l’on perdait cette nouvelle bataille, on serait exposé à en perdre bien d’autres par la suite.

Le grand mérite de la discussion de l’impôt des boissons, outre le déficit du trésor évité ou détourné, c’est d’avoir dit la vérité au pays, c’est de n’avoir pas couru après une misérable popularité. Ce mérite si rare de savoir et d’oser dire la vérité, nous le trouvons aussi dans un document important, dans le rapport de M. Reybaud sur les colonies agricoles de l’Algérie. Puissent tous les hommes qui sont encore disposés à être dupes des mirages de la philanthropie lire ce curieux et instructif rapport ! Ils y verront combien, pour faire le bien, il faut de prudence, de bon sens et surtout de temps. Ils y verront enfin qu’on n’improvise pas une colonie aussi facilement qu’une république.

Supposez qu’un gouvernement régulier, maître de lui-même, ayant tout le temps de la réflexion, ayant aussi les ressources nécessaires, veuille faire un essai de colonisation agricole, comment s’y prendra-t-il ? Apparemment, il choisira de préférence pour colons des cultivateurs, des hommes robustes, habitués à de rudes travaux, à une vie sobre, des pères de famille surtout capables de donner de bons exemples ; en même temps, il fera tous les préparatifs nécessaires pour établir commodément la colonie sur le sol qu’elle a à défricher. Il s’arrangera pour qu’elle y trouve, dès l’arrivée, un abri suffisant et des instrumens de travail. Il prendra enfin ses mesures de manière à ce que l’arrivée des colons ait lieu dans une saison propice aux travaux de la terre, car l’oisiveté, surtout au début, est une cause certaine de découragement.

Voilà ce que fera un gouvernement régulier ; mais, pour la même raison, voilà ce que n’a pas pu faire le gouvernement de la république aux mois de septembre et d’octobre 1848, non pas qu’à cette époque ce gouvernement n’eût déjà manifesté un retour à l’esprit d’ordre, mais il était encore dominé par les circonstances, et il subissait les inconvéniens de son origine. L’envoi d’une colonie en Algérie, proclamé par lui à la tribune comme une pensée de civilisation