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dans le gouvernement ; mais, quelle que soit l’origine et la nature de ce gouvernement, il n’y aura encore une fois de salut pour lui, comme pour la nation, que dans l’exercice énergique et continu de l’autorité.

Sauf quelques sous-entendus qu’explique l’incertitude du moment où fut écrit ce livre, et dont je ne crois pas avoir méconnu le sens, voilà en substance l’idée développée par M. Alcala Galiano. De piquantes digressions arrêtent souvent le lecteur, mais sans l’égarer. Écrivain d’une admirable lucidité, M. Galiano excelle à faire marcher de front les détails de la situation la plus complexe, de sorte que l’idée générale ne se perd jamais de vue. Une critique rigoureuse pourrait exiger plus de concision. Orateur facile et élégant, et qui s’écoute, je gage, presque avec autant de plaisir qu’on l’écoute, M. Galiano a, comme écrivain, les défauts de ces qualités : son livre est plutôt parlé qu’écrit ; mais le langage qu’il parle est si pur, si rayonnant de simplicité et de clarté, qu’on regretterait, en définitive, d’en sacrifier un seul mot. J’ajouterai que ce livre devrait être traduit, car l’auteur a saisi avec beaucoup de finesse les mille nuances, les contradictions plus apparentes que réelles de nos mœurs politiques, si aristocratiques et si démocratiques à la fois. À ce propos, M. Galiano se raille de cet empirisme qui voudrait implanter tour à tour chez nous les institutions de l’Angleterre et celles de l’Amérique, comme s’il y avait pour chaque société d’autres institutions possibles que celles qui naissent naturellement de ses traditions, de ses besoins, de ses mœurs. M. Galiano a d’autant plus de mérite à combattre ce genre d’illusions, qu’il les a autrefois partagées. C’est lui qui, engageant jadis ses compatriotes à braver les dangers d’une expérience révolutionnaire, s’écriait : « On n’apprend à nager que dans l’eau ! » Depuis lors, M. Galiano s’est aperçu, et il en fait très loyalement l’aveu, que les peuples qu’on jette dans cette eau-là peuvent parfois s’y noyer.

L’Espagne s’est, elle aussi, rangée à l’avis de M. Galiano, après avoir partagé son erreur. Nos voisins ont à peu près renoncé, je l’ai dit, à la stérile manie des contrefaçons politiques. C’est sur leurs besoins qu’ils cherchent désormais à modeler leurs lois ; c’est à leur passé et non plus au nôtre qu’ils vont demander des principes et des traditions. L’Histoire de Grenade, par M. Lafuente Alcantara[1], et l’Histoire de la Législation espagnole, par M. Antequera[2], sont en ce sens de très notables efforts.

Je me défie des monographies de clocher, et quelques harmonieux échos que réveille dans le souvenir ce doux nom de Grenade, ce n’est pas sans défiance que j’ai ouvert l’ouvrage de M. Lafuente Alcantara. Comment supposer qu’une histoire de ville, cette ville eût-elle pour passé les califes, pour chronique le Romancero, pour ruines l’Alhambra, pût offrir un intérêt soutenu pendant quatre énormes volumes in-8o ? Je me trompais, jamais cadre n’aura été plus vaste et plus rempli. Sous le titre modeste que porte son livre, M. Lafuente Alcantara a écrit en réalité les annales de tout ce midi espagnol que Grenade illumina à un moment donné de son glorieux rayonnement. Ainsi vu de haut, cet étroit horizon s’agrandit de toute l’immensité des trente siècles historiques

  1. Historia de Granada ; Madrid, 1843, chez Sanz, imprimeur-libraire.
  2. Historia de la Legislacion española ; Madrid, 1819. Imprimerie Martinet et Minuesa.