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code visigoth. Il est temps d’en finir avec ces anachronismes ; ce n’est pourtant pas une raison de jeter à bas, sans distinction et sans ménagement, tous ces vieux monumens de la sagesse nationale, qui doivent encore avoir quelques fondemens bien solides pour s’être maintenus debout, depuis douze ou treize cents ans, sur ce sol si tourmenté de l’Espagne. Le livre de M. Antequera peut aider beaucoup, sous ce rapport, le discernement des nouveaux législateurs.

Pour notre part, un rapprochement nous frappe dans ce rapide résumé c’est que le pouvoir royal a long-temps présenté en Espagne les mêmes phases qu’en France, s’appuyant d’abord sur l’église, débordé plus tard par l’église et les grands vassaux, cherchant et trouvant enfin son point d’appui dans le tiers-état. Ici pourtant s’arrête le parallèle. En cessant d’être opprimée, la royauté française est devenue ambitieuse. Réintégrée dans ses droits par l’intervention des communes, elle a commis la faute de vouloir s’agrandir aux dépens des communes, que la royauté espagnole, sauf d’insignifiantes exceptions, n’a pas cessé, au contraire, de ménager. De là l’énorme différence des deux révolutions française et espagnole. La première a trouvé le trône et le peuple profondément divisés, la seconde les a trouvés réunis. L’une a commencé par 93 et fini par février ; l’autre a commencé et fini par un 1830. Dans un moment où le gouvernement espagnol cherche à resserrer les liens de l’administration, il ne doit pas perdre de vue, selon nous, l’enseignement qui ressort de ce contraste. La décentralisation, qui est souvent un inconvénient, est parfois aussi une garantie.

D’autres causes expliquent l’inoffensivité de la révolution espagnole. Onéreuse et oppressive jusqu’au dernier moment, l’aristocratie française a subi le premier choc de ce furieux travail de démolition qui commence à 1788, et elle a forcément entraîné en tombant le trône qui était sa clé de voûte. L’aristocratie espagnole, au contraire, a été à peine effleurée par le vent révolutionnaire, car elle ne portait ombrage à aucune susceptibilité sérieuse. Les restes de servage qu’avait légués à l’Espagne la domination romaine et visigothe avaient disparu depuis des siècles, et ils avaient disparu spontanément, sans luttes, sans laisser après eux ces haines de caste qui suivent tolite émancipation violemment obtenue. À chaque conquête qu’ils faisaient sur les Maures, les rois d’Espagne, pour sauvegarder leurs nouvelles frontières, y attiraient la population chrétienne par l’appât de nombreuses franchises dont les serfs s’empressaient de profiter. Souvent même c’étaient les grands vassaux qui, pour arrêter le dépeuplement de leurs domaines, prenaient l’initiative de l’affranchissement. Un autre essai de féodalité fut tenté, il est vrai, sur les territoires conquis ; mais cette féodalité n’avait aucune analogie avec la nôtre. Ne pouvant s’accommoder d’un joug que les haines de religion eussent rendu intolérable, les Maures subjugués émigraient presque toujours en masse chez les leurs, laissant ainsi l’entière disposition de leurs terres au conquérant, qui les partageait, sous certaines conditions, entre ses hommes d’armes. Cette irritante distinction entre vainqueurs et vaincus, qui marqua chez nous l’établissement de la féodalité, n’existait donc pas ici ; le nouveau vassal n’était, à proprement parler, qu’un privilégié de plus dans cette hiérarchie de privilégiés que fondait chaque conquête, un hidalgo parfaitement pénétré de son importance et de sa force, et que le suzerain, bon gré mal gré, ménageait. Les sept siècles de