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fut appelé à nommer des délégués à une convention qui siège en ce moment à Monterey. Les élections furent très disputées sur la plupart des points. L’alcade du Sacramento fut seul élu à l’unanimité, tant il est vrai que, dans les États-Unis d’Amérique comme en Turquie, sous une république comme sous une monarchie, rien ne vaut, comme moyen de popularité, un caractère ferme et énergique, une volonté qui s’exprime par des actes hardis et non par des paroles vagues. Ce qui répugne le plus aux masses, c’est l’indécision et la faiblesse de caractère. Elles ne se laissent pas aisément prendre aux apparences, et plus d’un homme qui serait timide dans la vie habituelle grandirait subitement sur un théâtre et devant un auditoire populaire, tandis que le pourfendeur de salon rentrerait dans l’obscurité, jugé par l’instinct des masses et humilié à tout jamais. Au reste, ce qui montre que les Américains savent au besoin unir la hardiesse et la décision à l’amour de l’ordre, c’est un conflit récent dont la Californie a été le théâtre.

Il s’était formé, dans les premiers temps qui ont suivi la découverte des mines, une bande composée d’Américains, de Français et d’Anglais, sous le nom de hounds (limiers). Son but avoué était de réunir, au moyen de souscriptions volontaires, de quoi secourir ceux de ses membres qui, n’ayant pas réussi aux mines et se trouvant incapables de travailler, désireraient rentrer dans leurs patries respectives. Chaque membre, pour signe distinctif, portait une raie sur le bras gauche. Pendant quelque temps, on n’eut qu’à se louer des hounds, qui seuls maintenaient l’ordre à San-Francisco en prêtant main-forte aux autorités chaque fois que l’on cherchait à le troubler. Peu à peu cependant des querelles s’élevèrent entre eux et les Chiliens, qui, très versés dans les procédés d’extraction de l’or et travaillant par bandes, obtenaient facilement de beaux résultats. Les hounds notifièrent donc aux Chiliens qu’ils eussent à quitter les lieux et à rentrer dans leur pays, et, sur leur refus, ils leur livrèrent bataille. Vaincus dans plusieurs rencontres, les Chiliens se réfugièrent tous à San-Francisco. Les hounds les y suivirent ; chaque jour, il s’y élevait des rixes sanglantes ; il n’y avait plus ni paix, ni sécurité dans la ville, car les malfaiteurs de tous pays, flairant le désordre et voulant y trouver du profit, s’en mêlèrent. On saccagea des maisons, on brûla des magasins, on pilla des dépôts de vins et de spiritueux, le tout impunément. Pourtant les habitans de San-Francisco, passant à côté de cette anarchie, couraient à la douane, faisaient leurs achats, s’occupaient, en un mot, de leurs affaires, comme s’ils n’avaient rien eu de commun avec les combattans et aucun intérêt engagé dans leur querelle. Les Anglais seuls, habitués à une puissante protection de la part de l’état, amis par excellence de la discipline, s’étonnaient et s’indignaient, protestant contre l’indifférence coupable du gouvernement de Washington. Les