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plus élevés encore. Chacun se sert à soi-même de domestique, et des hommes riches de plusieurs millions se voient dans la nécessité de cirer leurs propres bottes et de remplir chez eux les fonctions multiples, mais prosaïques, de la femme de ménage.

La vie matérielle n’est pas d’une cherté excessive pour l’ouvrier. La viande fraîche, qui abonde encore, se vend 1 franc 25 centimes le demi-kilogramme ; le bœuf salé et le biscuit, deux produits dont le marché est encombré, ne coûtent pas plus cher qu’en Europe. J’en dirai autant des spiritueux, qui en ce moment s’écoulent fort difficilement. Il y a peu de semaines, il en était de même pour les vins de Bordeaux, dont on rencontrait des caisses jusque sur les places publiques, et que personne ne voulait plus acheter. Tout à coup les travailleurs aux mines s’abattirent en masse sur ce produit et enlevèrent en un instant tout ce qui s’en trouvait. Ce revirement était dû à une opinion propagée parmi eux par quelque spéculateur intéressé, à savoir que les spiritueux de toute sorte occasionnaient des fièvres auxquelles on pouvait échapper en se bornant à l’usage du bordeaux.

Il est difficile, sinon impossible, de renseigner bien exactement le commerce de France sur le genre de produits qu’il devrait expédier à San-Francisco. Les distances sont telles que le marché peut se trouver encombré depuis plusieurs semaines lorsque le chargement demandé arrivera à sa destination. Bien que la consommation soit immense pour certains articles, il s’en importe des masses si formidables, et par tant de voies, qu’il s’écoulera, encore long temps avant qu’on puisse asseoir sur les besoins de cette place un calcul tant soit peu certain. Ce n’est pas seulement des États-Unis et d’Europe que la Californie reçoit ses produits manufacturés. La Chine lui en fournit aussi et en très fortes quantités, ainsi que Manille et Sydney. D’un autre côté, il n’existe pas de marché voisin où l’on puisse verser le trop-plein des marchandises accumulées sur la place de San-Francisco. Les îles Sandwich, l’Orégon et les provinces russes de l’Amérique du Nord, seuls centres de consommation qui se présentent dans cette partie de la mer Pacifique, ne peuvent soulager que faiblement dans des crises de ce genre. Tout est loterie encore, et le négociant d’Europe qui envoie des expéditions vers ce point lointain a chance égale de gagner ou de perdre 500 pour 100.

Les choses changeront de face dès qu’on aura achevé les magasins et dépôts qu’on est en train de construire à San-Francisco. Alors les marchandises qui arrivent dans un moment d’encombrement pourront s’entreposer, en attendant une occasion plus favorable. Le commerce français devrait s’appliquer maintenant à emballer ses produits de manière à ce qu’ils aient le moins besoin possible, en arrivant sur les lieux, de l’intervention de nouveaux bras. Tel article qui produirait