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d’un bateau à vapeur uniquement destiné à la remorque des navires.

C’est que la barre de l’Adour présente sans cesse l’aspect d’une mer en tourmente. Là l’Océan ne connaît point de repos. Je l’ai visitée par un de ces beaux jours d’automne où la nature entière semble se reposer de l’activité des saisons passées et se préparer au sommeil de l’hiver. À peine un souffle d’air, venant de l’est, soulevait-il les banderoles des navires amarrés de loin en loin aux bords du fleuve, et pourtant, dès les Allées marines, admirable promenade étrangement abandonnée par les Bayonnais pour les glacis de la place, j’entendais ce tonnerre lointain qui annonce une mer agitée. Sous les rayons d’un soleil à demi voilé qui dorait Bayonne et son cadre de collines, je suivis l’étroite jetée de la rive gauche, barrière bien faible en apparence, mais suffisante jusqu’à ce jour pour protéger les rives sablonneuses contre toute érosion. En face du village appelé le Boucaut, le bruit du ressac redoubla ; à la pointe du lazaret, il devint vraiment formidable. J’atteignis enfin la tour des signaux, et du haut de la plate-forme j’embrassai d’un coup d’œil l’embouchure et ses abords. Des deux côtés, la plage unie et basse s’élevait insensiblement et se hérissait de dunes de sable dont quelques-unes montraient leur cône aride au-dessus des plantations de pins destinées à les fixer. À mes pieds commençaient les digues basses de MM. de Prony et Sganzin, tracées de manière a rétrécir progressivement le lit du fleuve et à agir comme une écluse de chasse sur les sables et les graviers. En face s’étendait l’Océan, dont pas une ride ne creusait la surface aplanie par le vent d’est. Et pourtant un large demi-cercle de vagues et d’écume séparait la mer et le fleuve : c’était la barre de l’Adour. Là grondait l’orage que j’entendais depuis une heure. La marée montait. Des lames insensibles, venues du large, se relevaient au contact des bas-fonds et se dressaient en longues ondulations semblables à des murailles d’une demi-lieue. Sapées à la base par le fond de plus en plus haut, elles se courbaient en volutes et s’éboulaient en laissant échapper une blanche poussière. Bientôt relevées, moins hautes, mais plus pressées, elles formaient, en face de l’Adour, comme une quadruple barrière sans cesse détruite et sans cesse renaissante, atteignaient enfin le rivage, se brisaient avec furie et lançaient, jusqu’au haut du talus incliné qui les arrêtait, leurs longues et rapides fusées. À l’embouchure même, elles se précipitaient dans l’étroit canal, se recourbaient à droite et à gauche contre les jetées, comme pour faire à l’océan un plus large passage, et roulaient avec elles des monceaux d’une écume jaunâtre qui, accumulés à la hauteur du phare, semblaient un amas de roches flottantes[1].

  1. Que le lecteur ne taxe pas d’exagération les lignes qui précèdent. Voici en quels termes M. Beautemps-Beaupré, si sobre d’observations dans les légendes qui accompagnent son magnifique Atlas hydrographique des côtes de France, s’exprime en parlant de ce lieu vraiment remarquable : « La mer est quelquefois très belle au large, tandis qu’elle est affreuse sur la barre de l’Adour, et qu’il serait impossible de faire gouverner un bâtiment entre les lames qui s’élèvent alors sur ce danger, quand même le vent serait favorable pour le franchir. » (Plan du cours de l’Adour.) Nous reviendrons plus loin sur ce phénomène en parlant de Saint-Jean-de-Luz.