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soudées l’une à l’autre sur la ligne médiane. Depuis long-temps on avait cherché dans l’étude embryogénique la confirmation de cette idée. M. Newport, un des plus habiles anatomistes de l’Angleterre, avait montré qu’en effet, chez les jeunes myriapodes[1], les centres nerveux abdominaux, les ganglions, sont partagés en deux moitiés qui se réunissent plus tard. J’avais fait une observation semblable sur une eunice sanguine[2] en train de reproduire ses anneaux postérieurs perdus par quelque accident ; mais on ne connaissait pas encore d’animal adulte qui présentât des traces bien apparentes de cette division originaire. Eh bien ! chez la hermelle, cette division existe dans la plus grande partie du corps. Dans toute la longueur de l’abdomen, muscles, vaisseaux, nerfs, tout est double, et les deux moitiés ne tiennent l’une à l’autre que par la peau et le tube digestif resté simple. Ici l’annélide est réellement fendue en deux. En avant et en arrière, les appareils musculaires et vasculaires se rejoignent sur le milieu du corps ; mais le système nerveux ventral reste partagé d’une extrémité à l’autre, et ses deux moitiés ne communiquent ensemble que par de grêles filets ou des bandelettes excessivement minces[3].

À l’époque où je faisais ces recherches, la division du système nerveux, chez les hermelles, dut être regardée comme une disposition tout exceptionnelle ; mais les annélides me gardaient bien d’autres surprises. Ce groupe, incontestablement le plus curieux à étudier aujourd’hui, semble surtout être caractérisé par la variabilité infinie des caractères qui, partout ailleurs, offrent le plus de constance. Chez les annélides, les organes du mouvement, ceux de la circulation, varient d’une espèce à l’autre dans les limites les plus étendues. Ceux de la respiration se développent d’une façon presque exagérée ou disparaissent complètement, et cela chez les animaux en apparence les plus rapprochés. Le système nerveux lui-même, ce système fondamental dont Cuvier a dit qu’il était l’animal tout entier, n’échappe pas à la loi commune, et cette année même j’ai pu constater qu’il présente d’étranges variations. J’ai retrouvé dans d’autres tubicoles, et jusque chez les errantes, ces chaînes nerveuses abdominales fendues en deux moitiés très éloignées l’une de l’autre. En revanche, j’ai rencontré dans d’autres espèces cette même chaîne ne formant plus sur la ligne médiane

  1. Classe voisine de celle des insectes, et à laquelle appartiennent, entre autres, les scolopendres ou mille-pieds.
  2. Voir les Souvenirs d’un naturaliste, livraison du 15 février 1844.
  3. Je rappellerai ici que chez les annelés on trouve dans la tète, au-dessus du tube digestif, un centre nerveux principal. C’est lui qu’on regarde comme représentant le cerveau des vertébrés, parce qu’il fournit d’ordinaire les nerfs sensoriaux. Ce cerveau se rattache par deux filets appelés connectifs au système nerveux abdominal, placé au-dessous du tube digestif et consistant essentiellement en une chaîne de centres nerveux ou ganglions réunis par d’autres connectifs.