Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Creusez ici, les gas, s’écria Jean en frappant le sol du pied, il y a de l’eau sous mon talon.

Les bêches et les pioches se mirent aussitôt à l’œuvre, et nous entendîmes bientôt les travailleurs pousser un cri de joie ; l’eau commençait à sourdre dans la tranchée. Nous pensâmes qu’il n’y avait plus d’inconvénient à nous montrer, et nous rejoignîmes le sourcier, auquel j’adressai mes félicitations. En apprenant que nous avions tout vu, il parut d’abord embarrassé ; mais il se remit aussitôt, et nous répondit sur le ton demi-plaisant dont j’avais été déjà frappé lors de notre première rencontre. Quant à Claude, il avait tout observé sans rien dire, et continuait à garder un silence railleur.

— Voilà un talisman dont vous ne nous aviez point parlé, lui dis-je à demi-voix en montrant la baguette que le sourcier tenait encore.

— Il est aisé de cacher un vieux fer dans une touffe d’herbe et de trouver de l’eau où poussent les osiers, répondit le chaudronnier.

— Ainsi vous ne croyez pas à la verge de coudrier ? repris-je en souriant.

Il haussa les épaules.

— Quoiqu’on soit un pauvre rouleur, on a pourtant une raison ! dit-il avec dédain.

Cependant Jean-Marie avait aperçu Claude, qu’il salua par son nom. Il me sembla même que son ton avait un accent de déférence presque respectueuse, et je me demandai si, pour compléter ces exemples de contradictions, l’exploitateur ironique de tant de superstitions partageait par hasard celle de la foule à l’endroit des trésors.

Nous continuâmes à suivre la traverse avec nos deux compagnons. Maître Jean avait réclamé les services du chaudronnier ambulant pour quelques réparations indispensables, et il le conduisait à sa closerie, peu éloignée de la motte Ygé, dont nous commençâmes à revoir les sommets écrêtés.


III. - MARTHE.

Le vent venait de se lever brusquement du côté de l’ouest, chassant devant lui de gros nuages plombés qui s’entassaient au-dessus de nos têtes. Nous étions menacés d’un de ces orages de pluie qui remplacent, dans nos provinces occidentales, les orages neigeux de l’Écosse. Je connaissais par expérience ces espèces de trombes, nommées dans le pays accats ou abats d’eau, et j’avertis mon compagnon, qui, depuis un instant, regardait aussi l’horizon avec inquiétude. Il était douteux que nous pussions éviter tout l’orage ; mais, en faisant diligence, nous avions l’espoir de sortir bientôt de la région pluvieuse, qui n’embrasse souvent qu’un espace assez rétréci, et d’en être quittes pour un grain.