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par ses encouragemens, poussé dans les rangs des Magyars les débris de la fameuse légion académique ; l’Allemagne de Francfort ne pouvait rien de plus pour les Magyars menacés par les Russes. Les Magyars placèrent donc tout leur espoir dans l’Angleterre et la France.

En France, ils se heurtèrent tout d’abord à l’impassibilité tour à tour facétieuse et sombre de M. Bastide. Aussi bien le général Cavaignac avait saisi le côté faible de l’insurrection magyare. « Nous avons, disait-il, essayé de connaître la pensée et les plans des Hongrois ; nous n’avons jamais pu savoir ce qu’ils voulaient. » En définitive, la diplomatie de M. Kossuth échoua devant l’indifférence étudiée de M. Drouyn de Lhuys. A défaut du gouvernement français, qui leur manquait, les Magyars entreprirent alors d’émouvoir l’opinion. Leur représentant à Paris, l’un des hommes les plus modérés et les plus recommandables de la Hongrie, le comte Ladislas Teleki, menait de front la diplomatie et la polémique. Il avait, dès le commencement de la guerre, publié au nom du gouvernement magyar un manifeste aux peuples civilisés. En mai et en juin 1849, il redoubla d’ardeur pour signaler à l’Europe tous les dangers d’une intervention russe. « Il n’y a plus de temps à perdre, écrivait-il, l’heure suprême approche, et la prédiction de Napoléon s’accomplit. Le czar déclare qu’il va protéger contre la révolution l’honneur du nom russe et l’inviolabilité de ses frontières ; mais si la Pologne existait encore, la Hongrie se trouverait-elle aux frontières de la Russie ? N’est-ce pas elle qui s’est avancée vers nous ? Et lorsque l’Autriche sera envahie et l’Allemagne asservie, où seront alors les frontières de la Russie ? » Voilà par quelles considérations les Magyars comptaient intéresser la France. Ils avaient, pour la satisfaction de leur orgueil de race conquérante, appelé sur l’Autriche le poids de l’intervention russe, et, exagérant le danger comme leur propre importance, cachant, sous le nom de liberté, leurs projets de suprématie, ils espéraient que la France endosserait leurs entreprises jusqu’à se compromettre pour eux diplomatiquement auprès des cabinets, et moralement auprès de l’immense et généreuse race des Slaves.

En Angleterre, la diplomatie magyare recueillit du moins plus de témoignages de sympathie. Le terrain était là plus favorable. Tandis que la France avait, dans sa politique extérieure, à tenir compte de la paix générale, et que d’ailleurs son gouvernement, sans avoir une idée claire de l’esprit des Slaves, sentait cependant vaguement que l’intérêt de la civilisation n’était point du côté du magyarisme, l’Angleterre, solidement assise sur la base antique de sa constitution, ne paraissait pas redouter les ébranlemens européens ; d’autre part, la puissante aristocratie qui a subjugué l’Irlande, flattée par la similitude profonde des lois de la Hongrie avec celles de la Grande-Bretagne, ne pouvait refuser sa prédilection aux Magyars. Les hommes qui prirent