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méprisait l’Autrichien, tout en ayant l’air de le défendre ; que l’Autriche irritée se promettait de cruelles représailles ; que le czar était plus généreux, et prêchait à ses alliés la conciliation. Il n’en voulait, disait-on, qu’aux Polonais, qui, après avoir été, suivant l’expression de Bathianyi, un mal nécessaire, étaient devenus un embarras et un obstacle. Un jour, à la table même de M. Kossuth, on entendit des officiers disserter sur les politesses du prince de Leuchtenberg pour des officiers magyars qui servaient en Russie. En Transylvanie, le nom du grand-duc Constantin, lancé dans le même esprit, précéda et accompagna partout l’armée russe. Voilà ce que les amis de Georgey écoutaient complaisamment à Pesth et sous la tente, pendant que M. Kossuth faisait entretenir lord Palmerston du prince de Cobourg. Avant d’avoir brûlé une amorce, la Russie s’était ouvert un chemin au cœur de la Hongrie.


II

La campagne diplomatique était enfin terminée, et on allait commencer une nouvelle campagne militaire. L’influence des généraux Dembinski et Bem avait prévalu dans la première phase des opérations de l’armée insurrectionnelle : l’influence du général Georgey devait dominer la seconde.

Il serait assez difficile, au premier abord, de caractériser la politique de ce personnage, dont le rôle est déjà si important et va devenir décisif. Un front soucieux et un regard voilé, qui paraissent couvrir une arrière-pensée, une certaine âpreté de sentimens qui semble de l’ambition contenue avec effort, voilà ce qui frappe en lui l’observateur durant la première période de la guerre. Georgey conquiert en six mois tous ses grades ; l’inquiétude de son esprit n’est pas apaisée, la coopération brillante des généraux polonais le gêne et l’offusque, il prend ombrage de la popularité de M. Kossuth lui-même. D’où viennent ces allures frondeuses et sournoises qui contrarient quelquefois les intentions de M. Kossuth, et toujours, comme par système, l’action des généraux polonais ? D’un défaut de caractère ou d’une opinion opposée à la politique de M. Kossuth ? L’une et l’autre de ces deux explications paraissent admissibles. Peut-être Georgey avait-il sur les ressources et les intérêts de son pays des idées plus justes que la poésie des ultra-enthousiastes. Que lui a-t-il manqué ? De la franchise pour poser hardiment son drapeau et déclarer sans feinte par quels chemins il entendait marcher. Je définirais volontiers Georgey un esprit juste égaré par un caractère faux. Si l’on y réfléchit bien, cette contradiction donne en effet le secret de toute sa conduite. Au fond, Georgey représente l’opinion positive et pratique, qui, laissant