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Bem avait eu l’intention de soulever la Moldavie et de se frayer par cette principauté un chemin vers les frontières de l’Ukraine. La Moldavie n’était pas préparée à cette entreprise. La proclamation que Bem adressa aux Moldaves demeura sans effet. D’ailleurs, les Valaques des principautés, qui étaient intervenus auprès du gouvernement magyare, désapprouvaient cette tentative. Si l’on voulait trouver de l’écho dans les principautés, c’était dans celle de Valachie qu’il fallait frapper. Elle avait été plus ou moins profondément révolutionnée ; le mot de démocratie avait de bouche en bouche circulé dans ses montagnes et dans ses plaines. Une invasion de Bem en Valachie eût encouragé toutes les passions que le mouvement de Bucharest avait éveillées et que l’occupation russe était venue comprimer. Tel est le langage que les agens valaques avaient tenu au général Bem ; il n’était plus temps d’y songer. Cependant, au moment où la nouvelle des concessions faites si tardivement par les Magyars aux Valaques arriva en Transylvanie, Bem, résolu à ne céder à la fortune que ce qu’elle lui enlèverait de vive force, tenta une excursion dans le banat de Temesvar, pour y faire un appel désespéré aux populations valaques. Il voulait organiser ainsi une armée magyaro-valaque, afin de se précipiter ensuite sur la Valachie. « Dans quinze jours, disait-il déjà, nous serons à Bucharest. » Bem, en arrivant près de Temesvar, trouva une situation bien différente de celle qu’il espérait. Le gouvernement magyar, fugitif, errait dans le banat, ne sachant où s’arrêter. Dembinski, rejeté par les Autrichiens des rives de la Theiss sur la ville de Temesvar, renonçait à opposer ses jeunes recrues au feu régulier et savant de l’armée ennemie. Il donnait pour la dernière fois sa démission. M. Kossuth voulait à tout prix une bataille ; il s’adressa au général Bem, qui ne croyait pas être venu pour assister à la ruine définitive de l’insurrection magyare. Bem prit le commandement de l’armée, suivant le vœu de Kossuth. On se battit. L’armée magyare fut mise en déroute, et se vit éparpillée dans toutes les directions. Ce n’est qu’à grand’peine que l’on put former de ses débris un corps de quelques milliers d’hommes.

Le drame touchait à son dénoûment. Georgey, après les désastres d’Acs et de Waitzen, était parvenu à se jeter dans les vallées du nord et à gagner la Theiss ; puis il était descendu au midi vers Arad, à quelques lieues de Temesvar. Sitôt qu’il avait paru devant Arad, appuyé sur l’armée dont la majeure partie des officiers étaient ses créatures, il avait conseillé à Kossuth d’abdiquer, sous prétexte que le pays ne pouvait plus être gouverné et sauvé que par un pouvoir militaire. M. Kossuth, de son côté, sentant bien que la lutte ne pouvait plus se prolonger, n’était peut-être point aussi attristé qu’on l’eût pu croire de remettre la responsabilité du dénoûment en d’autres mains. L’armée accepta volontiers Georgey pour dictateur, et Kossuth n’essaya point