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s’était enfermée en sa chambre ; Vibraye se trouva seul dans le salon, à midi, avec la duchesse et Lanier. Le hasard établissait ainsi un des plus pénibles et des plus fatigans entretiens à trois qui aient jamais été infligés à gens du monde. Lanier, s’abandonnant tout simplement à son mauvais vouloir contre le Vendéen, entama une conversation où Vibraye ne pouvait point placer un mot. Il se mit à parler, avec une affectation dont le moins délicat se fût offensé, de personnes et de choses connues uniquement de la duchesse et de lui. Il épuisa le chapitre des chevaux d’abord, puis celui des chanteurs, puis celui des danseuses ; puis il en vint aux médisances de salon, puis enfin aux toilettes que telle femme avait à telle fête. — Mon Dieu ! disait-il, quelle singulière robe avait donc lady Greenwich au dernier bal de l’ambassade anglaise ? C’était une robe en… Aidez-moi donc, madame la duchesse.

— En drap Lanier peut-être, monsieur le comte, dit du ton le plus rébarbatif Robert, qui avait jusqu’alors été muet.

— Monsieur, fit Lanier tout suffoqué de cette impertinente folie, en disant semblable chose, vous prétendez certainement…

— Vous rendre en une seconde, interrompit Vibraye, ce que je reçois de vous depuis une heure : beaucoup d’ennui.

Le comte Théobald se leva, pâle de colère, et, se dirigeant vers la porte du salon, dit à la duchesse avec un regard plein d’une sombre dignité : -Vous comprenez, j’espère, madame, à quelles convenances, à quelles lois, à quels devoirs j’obéis en ne poussant pas plus loin une affaire engagée devant vous, et, je le pense, à cause de vous.

Au moment de cette sortie tragique, la comtesse de Mauvrilliers entrait. Il est grandement temps que je vous dise quelques mots de l’ange, car Mme de Mauvrilliers a porté ce nom, ni plus ni moins que Mme de Grancey.


VI

Le vieux comte de Mauvrilliers, à près de quatre-vingts ans, épousa par grande vertu soi-disant, avec toutes sortes de façons éthérées et patriarcales, une toute jeune fille, sans aucune espèce de fortune, mais douée des plus beaux yeux du monde, d’un teint transparent et d’une chevelure séraphique. Léonie d’Alpieyce avait été confiée, comme pupille, à ce vieux suppôt du mariage, pour me servir d’une expression qui m’a réjoui. Son tuteur lui proposa un jour de l’épouser ; elle accepta, et se mit à jouer à l’Adèle de Sénange. On dit même qu’il y eut un lord Sydenham de la partie, mais beaucoup moins Grandisson que le héros de Mme de Souza. Toutefois Mme de Mauvrilliers, qui chantait en s’accompagnant de la harpe, et avait dans sa taille, dans son visage, dans ses cheveux, quelque chose de si aérien et de si lumineux, que