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s’être condamné à des redites : il a cherché dans Rio-Janeiro autre chose qu’un thème à descriptions banales. Le nom de Rio soulève dans son livre la question de l’esclavage et de la traite des noirs. L’opinion d’un fils de l’abolitioniste Angleterre sur ce sujet, encore aujourd’hui trop recherché par la polémique et trop négligé par l’étude, est assez curieuse à. connaître, par le temps d’égalité et de fraternité qui court. Avant 1830, époque à laquelle l’importation des noirs au Brésil fut prohibée, on y amenait, dit M. Walpole, environ quarante mille esclaves chaque année ; aujourd’hui ce nombre s’est réduit environ à onze mille ; on calcule que deux tiers périssent avant le débarquement. C’est donc environ trente-trois mille nègres qu’on doit embarquer pour arriver à ce chiffre de onze mille. Combien calcule-t-on que la marine européenne offre de ses matelots en holocauste au climat dévorant des côtes d’Afrique, pour obtenir ce mince résultat : une différence de sept mille noirs dans l’importation au Brésil ! Quarante mille nègres arrivaient, avant 1830, sains et saufs, car les négriers n’étaient pas alors dans l’obligation, pour les cacher aux yeux des croiseurs, de les entasser dans un étroit espace où l’asphyxie en tue les deux tiers. Vingt-deux mille esclaves périssent donc chaque année, depuis cette époque, au nom de l’humanité, qui les protége ; à ces victimes, combien doit-on en ajouter parmi les équipages des croiseurs ! La philanthropie européenne s’accommodera peu de ces chiffres ; voudra-t-elle reconnaître qu’en se hâtant de proclamer hautement une émancipation prématurée, elle a fait un mal incalculable ? Les esclaves émancipés surpassent leurs maîtres en cruauté. La liberté est un philtre enivrant dont les peuples constitutionnels eux-mêmes ont peine à supporter l’usage ; quels peuvent en être les effets sur un nègre abruti dans la case natale, sous les ordres d’un despote noir qui le troque contre des verroteries ou des liqueurs fortes ? Conçoit-on le délire de ce malheureux qui, après avoir puisé dans l’esclavage les vices d’une civilisation plus avancée, se trouve tout à coup élevé à la dignité d’homme libre, d’électeur et de représentant du peuple ? Le décret d’un sénat, d’une constituante, fera-t-il que cet homme subitement émancipé acquière tout d’un coup les qualités qui lui manquent ? Laissez l’Afrique se civiliser, dit avec raison M. Walpole, et dès-lors elle ne produira plus d’esclaves ; mais, tant qu’elle sera ce qu’elle est aujourd’hui, le remède que vous employez doit rester inefficace. L’Afrique combattra toujours contre elle-même et fera toujours trafic de ses enfans ; que si vous lui fermez vos marchés d’esclaves, les captifs de ses guerres intestines, qui chez vous trouvent une vie plus douce que celle qu’ils ont probablement jamais goûtée, seront égorgés par le vainqueur. Telles sont sur l’esclavage les opinions