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aucune autre ville de l’Amérique du sud, et le voyageur rencontre, en y entrant, des femmes en saya noire si étroitement collée aux corps, qu’elle en dessine toutes les formes, et la figure couverte d’un voile de soie qui ne laisse apercevoir qu’un œil brillant et lustré comme l’œil de la gazelle. Il ne faut malheureusement pas se laisser trop prendre à ce premier aspect. À Lima, comme dans toutes les autres villes de l’Espagne américaine, on ne rencontre que des églises, des places de taureaux, des théâtres de coqs, puis une alameda avec ses bassins et ses fontaines. Un des plus piquans souvenirs que réveille le nom de cette capitale est celui de doña Catalina de Erauso, la chevalière d’Éon du Nouveau-Monde. N’est-elle pas bien singulière la destinée de cette religieuse errante qui, à l’âge de quarante-deux ans, dégoûtée de la vie, se noya froidement dans la rade de Vera-Cruz, en ne laissant de son existence aventureuse qu’un portrait qu’on peut voir à Aix-la-Chapelle, chez un amateur allemand, et des mémoires dont le manuscrit, soigneusement recueilli par un Français, servit, en juillet 1830, à bourrer des canons de fusil[1] !


II

Jusqu’à Lima, le voyage du Collingwood n’est guère, on le voit, qu’une course rapide. L’album de l’honorable lieutenant s’est enrichi de paysages fort variés ; mais où sont les observations, les renseignemens utiles ? — A partir de Lima, nous entrons dans une période plus sérieuse : nous ne quittons pas les flots bleus de l’Océan Pacifique, et pourtant nous sommes transportés dans un nouveau monde. De l’Amérique, nous passons dans l’Océanie.

La décoration mouvante qui se déroule avec une rapidité féerique devant l’équipage du Collingwood a changé une fois de plus. Des cabanes de bambous se dessinant au milieu de palmiers à la tige élancée, de cocotiers massifs et d’arbres à pain à l’élégant feuillage, ont remplacé brusquement les clochers moresques de Lima. Au lieu des Liméniennes, dont l’œil noir brille seul à travers les plis de la saya de soie, on voit apparaître, au seuil des huttes à claire-voie, de jeunes femmes au teint olivâtre, aux longs cheveux nattés couverts de chapeaux de fleurs, et dont à peine un voile transparent dissimule la nudité. Une large, une calme et profonde baie s’ouvre devant le vaisseau anglais et s’étend comme un miroir d’azur poli dans son cadre de sable doré, enjolivé des vertes guirlandes de la végétation tropicale. C’est le premier plan du tableau ; plus loin, s’élèvent, les unes sur les autres,

  1. On peut voir sur Catalina de Erauso le récit publié par M. de Valon dans cette Revue le 15 février 1847.