Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un des Taïtiens reprend ainsi : — Paraïta le régent a signé à son tour, et, de son propre aveu, sa volonté ne lui appartenait plus : son altesse s’était enivrée ce jour-là.

Après ces confidences, et pour mieux prouver leur dévouement, les conspirateurs exhibent solennellement quelques mousquets suspendus aux murs de bambous et un drapeau aux couleurs de Taïti, c’est-à-dire rouge et blanc, avec cette devise : Victoria et Pomaré. — Quant à moi, dit le chef, je n’amènerai qu’à ma mort le drapeau de l’Angleterre qui flotte devant ma hutte.

Ce chef mécontent s’appelle Toma-Phor, et il est l’oncle de Pomaré, Il donne aux Anglais de curieux détails sur sa nièce. Pomaré est petite-fille d’un chef renommé, du nom de Paré, qui, le premier, par sa bravoure, réunit dans une seule main le gouvernement de l’île. Paré avait été l’ami du capitaine Cook. Son fils se montra pendant quelques années digne d’un tel père. Vaincu enfin par ses sujets rebelles, il dut se retirer dans l’île d’Eimeo. Là, le roi détrôné se convertit au christianisme, et il trouva moyen en même temps de prendre sa revanche, car il ne tarda pas à revenir à Taïti, dont il devint une seconde fois l’incontestable souverain. À sa mort, son fils lui succéda ; mais, enlevé à la fleur de l’âge, il laissa l’héritage de son père aux mains d’Aimata, qui prit le nom de Pomaré, et à qui l’autorité suprême fut continuée, quoiqu’elle ne fût pas la fille légitime de Pomaré II.

Dans sa première jeunesse, elle avait épousé Tomatoa, roi de Borabora, et généralement connu sous le nom d’Abourai (Gros-Ventre). C’était un guerrier renommé pour son courage, mais aussi par le désordre de sa vie. Comme Abourai refusa d’abandonner sa résidence de Borabora, et que Pomaré ne voulut pas renoncer à la sienne à Taïti, le divorce s’ensuivit tout naturellement. Les deux époux n’avaient pas eu d’enfans. Le divorce ne les empêcha pas de rester fort bons amis, même quand Pomaré épousa son mari actuel, un chef de peu d’importance, qui se tint pour fort honoré de changer son nom d’Arüfaite pour celui de Pomaré-Tani, autrement mari de la reine. Pomaré eut six enfans, dont quatre seulement sont vivans. La reine de Taïti a aujourd’hui trente-cinq ans environ, et sa jeunesse ne paraît pas avoir été exempte des débordemens reprochés à son premier mari.

La retraite de Pomaré à Riatea est un fait connu ; ce qui l’est moins, c’est une tentative faite par les Français pour essayer de la ramener à Taïti. Pomaré-Tani, l’époux de Pomaré, avait, comme le régent Paraïta, un assez vif penchant pour les liqueurs fortes, et ce fut par son côté faible qu’on l’attaqua. On espérait que le retour du mari déciderait, celui de la femme. Un Européen de sang mêlé s’offrit pour accomplir cette mission, qui était fort de son goût, car il s’agissait de prêcher d’exemple à Pomaré-Tani et de boire avec lui. Le roi ne se fit pas prier,