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blanche tombe sur son tappa, plus blanc encore. Levant la mort qui saisit sa proie sans qu’aucun effort puisse l’écarter, la femme et la fille du chef sont assises, immobiles dans leurs vêtemens flottans, avec la solennité du désespoir qui se résigne. Quelques mots sans suite s’échappent des lèvres pâles du vieux chef, puis son visage se contracte légèrement, sa tête s’incline, et l’ame d’Étiole, le plus redoutable ennemi de Pomaré, s’échappe de sa bouche entr’ouverte.

Avant de quitter Taïti pour Eimeo, on passe devant les palais presque contigus de la reine et du gouverneur français, et devant la maison où Pritchard fut mis aux arrêts. Le palais de la reine est une hutte oblongue, au toit incliné de feuilles de palmier ; le palais du gouverneur est un bâtiment de bois à deux étages ; le pavillon aux trois couleurs flotte sur le toit, mais moins haut que les palmiers qui l’ombragent. Un large verandah ou balcon court sur les quatre faces du palais ; des pièces de canon sur leurs affûts, des artilleurs de marine à côté de leurs pièces, sont comme perdus au milieu de l’immense place qui s’étend devant les deux habitations. La maison de Pritchard est un cottage de troncs d’arbres qui s’élève, comme une forteresse, au sommet d’une colline.

Taïti a ses légendes et ses prophètes. Voici un exemple de ces bizarres oracles. Un prophète indien, du nom de Mani, annonça, il y a bien des années, que la prospérité de l’île finirait quand on y verrait aborder un vaisseau sans gréement apparent. Jadis accueillie avec incrédulité, cette prophétie a semblé aux yeux des Taïtiens recevoir son accomplissement par l’arrivée du steamer le Cormoran, qui, en effet, marchait sans voile et sans mâture.

M. Walpole termine la relation de son séjour à Taïti en appréciant, avec l’œil d’un marin, l’avantageuse position de cette île. Placée au centre de l’Océan Pacifique, elle peut servir de point de ralliement et de départ pour toutes les directions aux navires de guerre et aux corsaires. Située à moitié chemin entre l’Australie et la côte d’Amérique, elle intercepterait aisément tout le commerce de ces deux points. Dans ses spacieux bassins, il est facile d’établir des chantiers de construction ; son port peut servir d’abri aux plus grands vaisseaux ; enfin l’abondance des productions naturelles achève d’en faire un lieu de ravitaillement précieux. Qui songerait à nier que tout cela ne soit parfaitement exact ? La France aura donc raison de garder soigneusement le dépôt qui lui a été confié.

L’île d’Eimeo est située à environ trente-deux milles de Taïti, quoique la position respective de leurs brisans, qui se prolongent dans la mer, n’en comporte pas entre les deux terres plus de onze. Eimeo, comme propriété de Pomaré, a été comprise dans la cession que la reine a faite à la France. Cette île est la sœur jumelle de Taïti. L’entrée de la baie