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ou glissent en s’accrochant aux courtines pendantes d’énorme lianes à fleurs de pourpre et d’or. Quels sont, sur les bords du fleuve, les spectateurs habituels de cette procession pittoresque ? Des grues qui restent, au passage des radeaux, dans leur mélancolique posture, puis des alligators couchés sur la vase tiède, et, ne se souciant pas plus de cette cohue nomade que du Chimborazo, qui, selon les heures du jour, couronne au loin son front de nuages roses ou de brouillards azurés.

Suivrons-nous le Collingwood, de station en station, jusqu’au terme de sa longue croisière ? Saluerons-nous au vol du navire les côtes occidentales du Mexique, San-Blas, l’ancien entrepôt des Philippines, et Mazatlan, qui grandit chaque jour derrière sa rade houleuse ? Nous aimons mieux nous arrêter, avec M. Walpole, à San-Francisco, dans la Haute-Californie. Il y a là de curieux renseignemens à recueillir sur les commencemens de cette conquête américaine, qui devait, plus tard, si vivement préoccuper le Nouveau-Monde et l’Europe.

Un officier du génie au service des États-Unis, le capitaine Frémont, est à peu près le Fernand Cortez de cette partie de l’Amérique. Vers la fin de l’été de 1846, après avoir employé environ six années à exécuter une mission importante du gouvernement des États-Unis, — celle de relever tout le pays qui s’étend entre le Missouri et les montagnes Rocheuses, — le capitaine américain arriva pour la première fois à Monterey avec cinq ou six trappeurs. Il obtint du gouverneur Castro la permission de séjourner sur les bords du Sacramento durant quelques semaines : c’était le temps nécessaire pour réunir les hommes et les chevaux que ses longs voyages avaient dispersés. Ce temps employé en achat de provisions et en conférences secrètes avec le consul américain, le capitaine repartit. On n’avait plus entendu parler de lui, quand, au mois d’octobre suivant, il vint camper, et cette fois sans permission, à la tête d’une quarantaine d’hommes, tout près de Monterey. Le général Castro, à la nouvelle de son arrivée, lui fit transmettre l’ordre de s’éloigner. Le capitaine Frémont ne répondit que par un refus formel ; mais, ne pouvant tenir tête aux troupes en nombre supérieur que Castro fit marcher contre lui, l’ingénieur américain plia ses tentes pendant la nuit et disparut une seconde fois. Ce n’était là encore cependant qu’une fausse retraite, et, au moment où M. Walpole arrivait en Californie, près de Monterey, M. Frémont revenait s’installer sur les bords du Sacramento avec une audace pleinement justifiée par les résultats de la guerre du Mexique. Le capitaine américain, à la tête de ses trappeurs, prenait pied en maître sur la riche contrée qu’il avait si fort convoitée, et qu’il avait aidé à conquérir. C’était à Monterey un sujet de curiosité que sa présence d’abord, puis les gens de sa suite étaient de vrais trappeurs, endurcis par six ans d’une vie de fatigues et de dangers sans nombre. On voulait voir, encore