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règne de Charles VII. Il semble que M. Michelet, en mettant le pied sur le terrain de l’histoire moderne, se trouve dépaysé. Lui qui a résumé si habilement la vie politique et morale de l’Europe pendant les trois derniers siècles, on dirait que sa vue s’obscurcit, que sa langue s’embarrasse quand il s’agit de raconter la guerre du bien public, la bataille de Montlhéry, la lutte acharnée de Louis XI et de Charles-le-Téméraire, la captivité de Péronne et la bataille de Nancy. Or Louis XI est le premier roi français qui appartienne à l’époque moderne, quoiqu’il plaise à M. Michelet de voir en lui le dernier roi français du moyen-âge. La différence que je signale entre le règne de Charles VII et le règne de Louis XI, importante en elle-même, puisqu’il s’agit d’un travail sérieux, accompli avec une rare persévérance, mérite d’autant plus qu’on s’y arrête, que les facultés requises pour comprendre et pour expliquer, pour peindre et pour raconter le règne de Louis XI, sont à peu près celles qu’on doit demander à l’historien de la révolution française. Dans la vie de Louis XI, en effet, la légende ne tient aucune place. La fantaisie, la passion, la rêverie, ne savent guère où se prendre dans cette suite d’actions si nettement marquées au coin de l’intérêt personnel, où la prévoyance et la ruse jouent le principal rôle, où la cruauté même n’est qu’une forme de la prudence. Eh bien ! M. Michelet a cependant trouvé moyen de chasser du règne de Louis XI la clarté que l’histoire voulait, que les documens originaux fournissaient en abondance. Ayant à nous montrer cette figure si neuve, si originale, dont la finesse matoise contraste d’une manière frappante avec la physionomie passionnée, le caractère ardent, l’esprit imprévoyant de Charles de Bourgogne, il s’est complu, avec une prédilection singulière, dans le tableau de la féodalité expirante. Ce tableau sans doute méritait d’être tracé avec un soin particulier, et je ne songe pas à reprocher à M. Michelet l’attention vigilante avec laquelle il a compté tous les orgueils que Louis XI voulait humilier, toutes les résistances dont il a triomphé, tous les châteaux forts qu’il a démantelés ; mais, tout en laissant à cette partie du tableau sa légitime importance, l’historien ne devait pas oublier les principes impérieux de la perspective. Il ne devait pas mettre sur le même plan tous les personnages engagés dans la politique de Louis XI comme ennemis ou comme auxiliaires. Pour raconter les faits accomplis dans toute leur vérité, et j’ajouterai dans toute leur simplicité, il était indispensable de placer au premier plan Louis XI et Charles de Bourgogne, et de reléguer derrière eux les autres figures. M. Michelet, en méconnaissant cette nécessité, en refusant de sacrifier, du moins quant à l’effet, les personnages secondaires, a jeté la confusion là où devait rayonner la clarté, et tout son savoir n’a servi qu’à lasser le lecteur sans graver dans sa mémoire un souvenir durable et précis.