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avoir tort ; mais nous devons la louer aussi quand, reconnaissant elle-même ses torts, elle rappelle avec un ensemble admirable M. Dupin au fauteuil de la présidence, et qu’elle fait ce que nous aimons le mieux voir faire à une assemblée et ce que nous souhaitons le plus que fasse la majorité actuelle : acte de déférence envers un de ses plus illustres chefs.

L’hésitation malencontreuse de la majorité dans le scrutin de la présidence n’est pas le seul tort que la majorité nous semble avoir eu dans cette quinzaine. Il a, en effet, fallu deux votes pour faire déclarer l’urgence de la loi sur les instituteurs communaux. Nous savons bien à quoi tenait le scrupule de quelques personnes. Elles se défient de la mobilité de l’administration, et quand il s’agit de remettre entre les mains des préfets la direction de l’instruction primaire, elles craignent qu’un beau jour les préfets ne soient changés tout à coup en commissaires-généraux de la république rouge. Oui, la république rouge est fort à craindre, si elle se mêlait encore de diriger l’instruction primaire ; mais nous en concluons qu’il faut tout faire pour empêcher l’avènement de la république rouge ; et comme la loi des instituteurs communaux a pour but d’empêcher l’avènement de cette république, nous en concluons encore qu’elle est utile, urgente, et qu’il ne fallait pas hésiter à voter. Nous remarquons en même temps que les personnes qui étaient tentées de préférer aux préfets, pour le moment, des comités départementaux plus ou moins bien composés, ces personnes-là ne se rendent pas un compte exact des choses mêmes qu’elles craignent. Si, en effet, la république rouge revient, elle ne respectera pas plus les comités que les préfets, et elle remplacera les uns par ses clubs, les autres par des commissaires.

Nous savons bien qu’une autre raison encore poussait quelques personnes à hésiter sur l’urgence de la loi. Elles craignaient que la loi provisoire ne devînt une loi définitive ; elles auraient dû cependant se rassurer par les déclarations de M. de Parieu, ministre de l’instruction publique, et surtout par l’intervention de M. Molé, demandant que la loi n’eût qu’une durée fixée par la loi elle-même. M. Molé avait bien vu, avec cette sûreté de coup d’œil que lui donne sa longue expérience parlementaire, que c’était sur ce point que l’assemblée pouvait se diviser et causer en même temps un échec au ministère. Or, il faut remarquer que les hommes les plus considérables du parlement, loin d’avoir contre le ministère les mauvais desseins qu’on leur prête, s’emploient avec zèle à épargner au pouvoir les moindres échecs. Ils le servent avec bonne foi ; ils le servent de haut, il est vrai, mais ils ne l’en servent que mieux, selon nous, et avec plus d’autorité. M. Molé voulait que la loi sur les instituteurs communaux fût adoptée, non comme définitive, mais comme mesure transitoire et urgente, et il a puissamment contribué, par ses conseils, à faire revenir une partie de la majorité sur la mauvaise humeur intempestive qu’elle avait témoignée.

Nous ne voulons pas indiquer ici les services signalés que M. Molé a rendus depuis un an à la cause de l’ordre par sa conciliante et puissante intervention. Qu’il nous suffise de dire que personne n’a au plus haut degré le sens et le goût du possible. Or, c’est là, dans notre pauvre pays, l’art suprême de la politique : savoir ce qui est possible à chaque heure, à chaque moment, dans cet empire du vide que nous traversons, quoi de plus rare et de plus utile ?