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quelques-uns, puisque la révolution française est la démocratie, et vice versa. Nous ne le pensons pas. La démocratie sera impuissante comme tous les autres remèdes : nous l’avons essayée depuis deux ans, nous l’essayons encore, et nous ne voyons pas qu’il y ait lieu de se féliciter des résultats. Ceux qui pensaient qu’avec le suffrage universel cesserait la révolution doivent être fort détrompés. Au contraire, la démocratie la secourt, lui prête sa force et son appui, la protège pour ainsi dire, mais il est aisé de s’apercevoir que la révolution ne s’arrêtera pas là : elle passera par-dessus la démocratie, et ses folles vagues continueront de rouler vers des rivages indéfinis et dont le nom est inconnu. Il est vrai que, dans le parti démocratique, beaucoup répètent que la révolution continue, parce que la démocratie n’est pas encore complètement victorieuse, parce qu’elle est obligée de subir ou au moins d’accepter le pouvoir des autres élémens dont se compose la France. C’est une démocratie de transition, disent-ils, pour arriver à la véritable démocratie.

Que signifie donc, dans leur langage, le mot de véritable démocratie ? Il signifie que le pouvoir devra passer au plus grand nombre, c’est-à-dire aux classes les plus nombreuses, par conséquent aux classes populaires. C’est une grande erreur de croire que la révolution cesserait parce que nos ouvriers ou nos paysans seraient les maîtres ; elle continuerait plus terrible que jamais. Et ici je ne parle pas des malheurs inévitables qui viendraient fondre sur la France, non, mais du résultat qu’aurait cette étrange expérience politique. Par leur nature, les classes populaires sont incapables de vie politique réelle. De deux choses l’une : ou bien leur gouvernement serait, comme certains journaux nous en menacent tous les jours, un gouvernement de passions, une sorte de vengeance temporaire et qui ne saurait durer, ou bien elles devraient cesser d’être les classes populaires pour devenir nous ne savons quelle classe dont le nom est encore inconnu dans l’histoire. Les imbéciles politiques qui parlent d’organiser un gouvernement au moyen des classes populaires sont les plus fourbes des hommes, s’ils n’en sont pas les plus ignorans. Il n’y a pas pour les classes populaires possibilité de devenir des classes politiques. Les classes moyennes, nous en avons tous été témoins, ont eu une extrême difficulté à gouverner, et encore, à un certain moment, l’inexpérience politique s’est montrée, la clairvoyance a fait défaut. Or, dans tous les états possibles, chez toutes les nations, dans les civilisations les plus différentes, au-delà des classes moyennes il n’existe rien comme classe politique. Ces mots, à une autre époque, auraient pu sembler un pur lieu commun ; aujourd’hui ils peuvent sembler une hardiesse, une insolence aristocratique, et, pour les plus calmes des démocrates, ils peuvent paraître une audace philosophique. La bourgeoisie n’est pas une classe,