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leurs forces et se débattaient sous les étreintes de l’impitoyable mort. L’arrêt fatal est prononcé, — Avez-vous une parole supérieure à celle de la mort ? Pouvez-vous invoquer une puissance plus forte que la sienne ? criaient de toutes parts des voix sinistres. Soudain un homme se prosterna la face contre terre et s’écria : Oui, il y a une puissance plus forte que celle de la mort, c’est celle de la vie ; il y a une puissance plus forte que celle du destin, c’est celle de la divine Providence. Sources de la vie, revenez en nous, nous récusons nos rêves. Non, la vie n’est pas le bonheur humain. Nous l’avions cru jusqu’alors ; maintenant nous voyons combien nous étions coupables. — Aussitôt que cette parole fut prononcée, la nuit s’évanouit, et une voix s’écria - Non, ce monde n’est pas le monde des Parques et des sorcières. — Les hommes regardèrent autour d’eux : tout avait fui ; mais quelle débâcle et quelle fuite ! La nuit avait été si longue, que les herbes avaient poussé hautes et droites, et couvraient la pierre des tombeaux. Des spectres qui tout à l’heure encore regardaient ce monde comme leur appartenant cherchaient et ne trouvaient plus leur sombre demeure, et c’était un bizarre spectacle que de les voir se heurter et courir, frappant leurs squelettes retentissans les uns contre les autres, criant dans un langage inconnu aux régions qu’éclaire le soleil et tout empreint des usages du monde souterrain. Les oiseaux murmuraient leurs chansons amoureuses avec tant de gaieté, la nature s’étendait si fraîche, la lumière brillait si pure pendant que s’opérait cette fuite des spectres, qui ne savaient où se cacher ! Les hiboux si fiers de leur science, éblouis et surpris, volaient au hasard ; les chouettes prophétiques criaient, non plus pour prédire le malheur, mais pour déplorer leurs déceptions ; les loups et toutes les bêtes carnassières et radicales que la nuit amène, s’enfuyaient dans leurs cavernes. Les hommes tombèrent à genoux et prièrent Dieu, et un hymne universel s’éleva pour le remercier d’avoir forcé l’aurore à briller et d’avoir ramené avec elle les parfums et les espérances, les rayons et les murmures, et tout ce qui enveloppe d’harmonie, d’enchantement, d’admiration l’ame immortelle et invisible. Les champs recommencèrent à s’emplir de musique ; les villes lointaines et les hameaux perdus entonnèrent les mêmes hymnes, et il ne resta plus de tout cela que le souvenir d’un mauvais rêve. L’esprit révolutionnaire était vaincu, et le gouvernement de la Providence, avec tout ce qui accompagne nécessairement ce gouvernement, — l’ordre, la hiérarchie et la religion, — continuait à régler le monde comme par le passé.