Le maximum annuel des mariages de Madrid a lieu pour les hommes vers trente-un ans et pour les femmes vers vingt-six ans seulement, presque la trentaine pour une Espagnole, qui est nubile à peine elle cesse d’être enfant. Ce long célibat s’explique par la liberté même dont jouissent les jeunes filles en Espagne. Pour la Française, le mariage est une émancipation, tandis que l’Espagnole, dans cette atmosphère de galanterie où elle entre de plain-pied au sortir du couvent, peut égrener sans trop d’impatience le chapelet de ses jeunes années. L’une, qui n’a pas le droit d’appeler les temporisations de la coquetterie à son aide, met son amour-propre à trouver le plus tôt possible un mari ; l’autre le met à désespérer le plus long-temps possible ses amoureux. De quel côté le diable trouve-t-il mieux son compte ? Je ne suis pas compétent. Il faut cependant avouer que l’Espagnole, libre qu’elle est de provoquer ouvertement les hommages et d’avouer ses préférences, reste par cela même sous le contrôle permanent des médisans et des jaloux, ce qui vaut bien une sauvegarde plus austère. Ajoutons que les ardeurs de la vanité, constamment surexcitées chez elle, la distraient d’autres ardeurs. Virginie faillirait moins difficilement peut-être que Célimène, ce qui, disons-le en passant, ne prouve rien contre ; Virginie. Enfin, et ceci répond à tout, les fenêtres de rez-de-chaussée et les guichets intérieurs de premier étage où les filles à marier de Madrid donnent leurs audiences confidentielles aux soupirans, sont en général très solidement grillés.
Quant au groupe masculin de la jeunesse madrilègne, l’action moralisatrice de cette liberté de mœurs n’est pas contestable. Chez nous, grace au rigorisme mal entendu qui élève comme un mur de glace autour des jeunes filles, nous sommes arrivés à ce résultat profondément triste, que les affections honnêtes ne sont pas toujours les plus attrayantes. Agnès, eût-elle de l’esprit à en revendre, est parfois condamnée, de par la pruderie maternelle, à paraître infiniment moins adorable que Frétillon. Ce contre-sens est inconnu chez nos voisins. En Espagne, Agnès c’est Rosine, moins Bartholo, et tenant au besoin tête, avec un aplomb tout virginal, un entrain pétillant de malice et de fraîcheur, à une demi-douzaine d’Almaviva qui en pâtissent fort, mais n’en sont que plus captivés. Frétillon et ses amours chiffonnées n’auraient que faire ici. Comprenant quelle serait à armes égales son infériorité, l’immoralité n’y prend pas la peine de se mettre en frais de folle ou de poétique élégance ; il n’y a pas d’intermédiaire à Madrid entre l’amour épuré des soupirs et des sérénades et le vice terne, platement vénal de la rue. Ajoutons ; puisqu’il s’agit de statistique sociale, que les malheureuses qui font ici cet horrible métier n’en ont même pas la verve cynique. N’étant pas officiellement séquestrée comme ailleurs de la société commune, la courtisane espagnole en conserve le