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montra quelque étonnement d’une visite que n’expliquait point en effet sa liaison fort superficielle et fort récente avec le visiteur ; mais l’officier, en s’approchant d’elle, lui dit : « Je viens vous remettre, madame, une lettre d’un de nos pauvres camarades dont j’ai appris la mort aujourd’hui même, le capitaine Séléki, ou plutôt de M. de Vibraye ; car il n’y a plus maintenant aucun inconvénient à rendre au brave soldat que les Bédouins viennent de nous tuer le nom qu’il cachait pour se soustraire à une condamnation politique. » La lettre de Vibraye était fort courte, quoiqu’elle résumât toute sa vie. La voici :

« Je m’étais promis, Lisbeth, car je veux vous donner le nom que vous avez porté dans mon cœur, de vous écrire dans un seul cas, celui où j’aurais à vous faire un dernier adieu. Je crois que je puis vous écrire. J’ai reçu une blessure qu’on dit mortelle, mais qui ne m’a été cruelle qu’en me faisant songer à cette première blessure de ma jeunesse, de mes jours printaniers, des jours où vous m’avez soigné. Je meurs en adorant Dieu et en vous aimant. De cette triste soirée après laquelle je ne vous ai plus revue, j’ai emporté deux impressions bien diverses dans mon ame, celle d’un baiser que vous avez oublié peut-être, celle de paroles que, j’en suis sûr, vous n’oublierez jamais. Une de ces impressions a fini par triompher de l’autre. Je vous aimais si ardemment, que Dieu, je l’espère, a voulu de mon amour pour son royaume. Il a ôté de ma passion ce qui la rendait indigne du monde où je vais vous attendre à présent. Je ne sais pas ce qu’a été votre vie, mais je puis vous dire à cette heure suprême qu’il ne s’est pas écoulé pour moi un instant ni de mes journées, ni de mes nuits, où je n’aie été sous l’action de votre souvenir. Cette perpétuelle obsession d’un cher fantôme, bien loin de me perdre, m’a sauvé. J’ai reconnu que vous étiez un esprit bienfaisant, car en vous suivant, au lieu de m’égarer dans des lieux de flammes et de ténèbres, j’ai été ravi en des lieux de fraîcheur et de lumière. Adieu, Lisbeth ; je vous dois la foi qui en ce moment même adoucit pour moi des souffrances qu’aurait peut-être assez mal domptées ce que vous appelez mon héroïsme. J’ai voulu vous aimer dans la seule région où vous vouliez de mon amour. Je vous ai aimée en Dieu, mon cher ange gardien : vous vous souvenez que je vous appelais ainsi ; je vous retrouverai là où je vous aime ! »

De grosses larmes coulèrent sur les joues de la duchesse quand elle eut terminé cette lettre.

— Et vous dites qu’il est mort ! s’écria-t-elle.

— Celui, répondit l’officier, qui m’adresse cette lettre, avec prière de la remettre, m’écrit ces lignes sur notre pauvre camarade, et il lut : « Nous avons pris trois cents têtes de bétail. » Non, ce n’est pas cela. « On dit que quelqu’un n’a pas été fâché à Oran de ce que la colonne