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LA BAVOLETTE.

visage dans un gros mouchoir de couleur, lorsqu’elle rencontrait une personne qui la pouvait reconnaître sous son déguisement. Enfin, les trois enfans jouèrent si bien leurs personnages, que les passans y furent pris, les uns en s’écartant pour faire place à la demoiselle inconnue, les autres en ne daignant pas abaisser leurs regards jusqu’au bavolet de la fausse paysanne.

Le tour de la place Royale n’était point achevé, lorsque M"0 de Boutteville entendit quatre gentilshommes, dont était M. de Gandale, demander d’où venait ce joli minois promené par le petit Boutteville. Trois de ces messieurs confessèrent qu’ils voyaient cette jeune fille pour la première fois ; mais M. de Candale se serait cru déshonoré s’il n’eût pu dire le nom d’une personne de qualité :

— Je la connais parfaitement, s’écria-t-il sans hésiter, et je m’étonne que vous ne deviniez point qui ce doit être.

Mais, quand on lui demanda le nom, il chercha, maugréa contre sa mémoire infidèle, jura qu’il ne connaissait autre et promit de se le rappeler avant la fin de la promenade. Le duc d’Enghien, qui entendit cela, mit M. de Candale au défi de lui dire le nom, et, en le voyant courir d’un groupe à l’autre pour s’enquérir de ce maudit nom sans le pouvoir découvrir, M. le duc se tenait les flancs de plaisir. Pendant ce temps-là, le petit Boutteville et Claudine s’arrêtèrent devant un tas de sable où jouaient des enfans. Tout près d’eux se trouva un gros militaire dont le ventre, sortant d’une cuirasse, retombait jusque dans ses bottes évasées. Son baudrier dessinait une large zone sur le globe de sa personne, et son hausse-col lui montait aux oreilles. Ce vieux militaire portait l’habit de major du régiment de Royal-Italien. Il regarda du coin de l’œil les deux enfans debout auprès de lui, et salua le jeune Boutteville d’un air obséquieux. Il appela ensuite un garçon de quinze ans plongé dans le sable jusqu’aux chevilles et qui se divertissait de tout son cœur.

— Mon fils Thomas, dit le major, n’avez-vous point de honte de jouer avec des enfans ? Venez çà ; présentez vos respects à M. de Montmorency-Boutteville et à cette belle demoiselle.

Le fils Thomas, encore essoufflé de ses jeux, obéit aux ordres de son père avec la gaucherie mêlée de franchise d’un écolier qui ne sait point son monde.

— Vous ne serez pas souvent, reprit le père, en si bonne compagnie, car vous allez mener avec moi la vie des camps et manger le pain du soldat. Profitez donc de l’occasion. Faites votre cour à cette aimable demoiselle. Allons, mon fils Thomas, soyez galant, mordieu ! A votre âge, je ne m’endormais point sur la paille ou sur le pré sans rêver à quelque jeune fille. Ce n’est pas que je vous autorise à élever si haut vos prétentions que de faire le soupirant auprès d’une personne