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s’imagine aisément quelles conséquences un pareil état des choses devait avoir sur les rapports de la Suisse avec les états qui l’environnent.

Il est toujours difficile au gouvernement d’une grande nation d’avoir avec un voisin notamment plus faible un différend qui ne dégénère bientôt en une violente querelle. C’est une expérience que les cabinets qui se sont succédé chez nous depuis 1830 ont pu faire les uns après les autres. À combien d’épreuves successives leur patience et leur dignité n’ont-elles pas été mises par les susceptibilités de ces petites démocraties helvétiques, qui, lorsqu’elles traitent avec des monarchies puissantes, prennent si facilement le ton d’une morgue hautaine pour celui d’une noble indépendance !

Il n’est point nécessaire d’entrer dans le détail de tous les justes sujets de plainte que la Suisse a donnés à ses voisins par l’hospitalité imprudente qu’elle n’a cessé d’accorder jusqu’en ces derniers temps aux réfugiés de tous les pays. Nous ne croyons pas utile de rappeler ni l’expédition de Ramorino publiquement préparée dans les murs de Genève contre le roi de Sardaigne, ni l’affaire Conseil en 1836, ni celle du prince Louis Napoléon en 1838. Ce n’est pas que ces conflits aient été sans gravité ; c’est qu’aujourd’hui nous tenons pour superflu d’insister auprès de qui que ce soit sur le droit qu’avait le cabinet du 22 février de menacer la Suisse d’un blocus hermétique, et le cabinet du 15 avril de lui faire entrevoir la possibilité de représailles plus significatives encore. Personne, nous le croyons, ne songe plus à reprocher à ces cabinets les mesures qu’ils ont dû prendre envers un état qui montrait si peu de bonne volonté ou tant d’impuissance à réprimer sur son territoire les tentatives les plus compromettantes pour la tranquillité des états limitrophes. Une seule chose nous paraît digne de remarque au milieu des événemens qui ont précédé ceux de 1847 : c’est la facilité avec laquelle ce pays, jadis si calme, si exclusivement renfermé dans le soin de ses propres affaires, permettait dès-lors à des étrangers débarqués chez lui de la veille de l’entraîner, pour leur propre compte et dans leurs seuls intérêts, dans les plus périlleuses aventures. Parmi les vrais habitans de la vraie Suisse, combien se souciaient en 1834 de révolutionner les états du roi de Sardaigne ? combien rêvaient en 1836 le renversement du trône impérial en Autriche, ou le remplacement en France du roi Louis-Philippe par le prince Napoléon ? C’est pourtant afin de seconder des desseins aussi indifférens ou plutôt opposés à ses intérêts que la diète helvétique s’est brouillée tour à tour avec la Sardaigne, avec l’Autriche et avec la France. On eût dit qu’aux yeux de ses propres enfans la Suisse avait perdu le droit d’occuper la première place dans leurs affections, et qu’eux-mêmes se jugeaient incapables de gouverner leur patrie. Des journalistes français, des