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« M. Ochsenbein m’a à plusieurs reprises assuré de sa ferme détermination de s’opposer à l’emploi des moyens qui pourraient amener les hostilités ; mais il n’est pas probable que, poussé par une société appelée le club de l’Ours et par la violente animosité des ultra-radicaux, il soit finalement capable de maintenir les opinions plus modérées de son parti[1]. »

Ces dernières prévisions de M. Peel n’étaient que trop fondées. Les ultra-radicaux et les membres du club de l’Ours n’eurent pas plus tôt appris que lord Palmerston avait chargé le représentant de l’Angleterre à Berne de complimenter dans la personne de M. Ochsenbein le président du vorort radical et unitaire, qu’il fut à l’instant avéré, parmi eux et chez tous les meneurs du parti, que l’Angleterre était résolue à ne pas souffrir l’intervention de la France dans les affaires, de la Suisse, et que dès-lors il fallait aller de l’avant, car il n’y avait plus rien à craindre.

Ce fut sous le coup de cette impression que la diète, après avoir déclaré l’illégalité de la ligue du Sunderbund et l’urgence de sa dissolution, s’ajourna au 18 octobre, afin d’aviser alors aux moyens d’exécution. Pendant que, suivant la teneur de la constitution helvétique, les conseils généraux de chaque canton délibéraient sur les instructions qui devaient mettre leurs envoyés à même de se prononcer sur le mode de coërcition à employer vis-à-vis des cantons récalcitrans, de nouvelles incitations arrivaient aux exaltés de la Suisse. Cette fois, c’étaient des Français qui, prenant fait et cause pour les radicaux suisses, protégés de lord Palmerston, les poussaient à braver hardiment le gouvernement français.

Les relations des radicaux suisses avec les républicains français n’étaient, avant 1847, un mystère pour personne. Jamais cependant cette union ne fut aussi intime et aussi apparente qu’au sein de ces nombreux banquets qui ont, pendant l’été et l’automne de cette même année, servi en même temps à célébrer les succès des radicaux suisses et à préparer le prochain triomphe des démagogues français. Tandis que les membres de notre opposition constitutionnelle, attachés à la poursuite de la réforme électorale, s’animaient à l’exemple des braves habitans de la Suisse, résistant si énergiquement à ce qui s’appelait alors l’esprit contre-révolutionnaire du gouvernement français, les chefs futurs du gouvernement sorti depuis des barricades de février juraient, dans une sorte d’exaltation prophétique, d’initier bientôt la France à la beauté du régime inauguré de l’autre côté du Jura. Chose étrange, ces mêmes mots de liberté, d’égalité et de fraternité, inscrits sitôt après sur le drapeau de la république française, avaient d’abord

  1. M. Peel à lord Palmerston (Papiers parlementaires relatifs à la Suisse, août 1847, page 164).