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la Russie se réunir dans un concert dont l’Angleterre serait exclue, ou bien fallait-il les imputer au désir d’entrer dans les projets des puissances, afin de les faire plus sûrement avorter ? Nous laissons nos lecteurs libres de choisir entre ces diverses explications. Pour ce qui nous regarde, nous nous interdisons d’exprimer aucune opinion ; nous ne prétendons point scruter les intentions, nous racontons les faits, et nous citons les pièces.

Le 30 octobre, M. Peel se présenta chez M. de Bois-le-Comte.

« D’après l’idée que j’ai cherché à donner à votre excellence du caractère loyal et généreux de M. Peel, elle ne sera pas étonnée de ce qu’elle va lire.

« M. Peel est venu hier chez moi. Toutes mes opinions sont changées, m’a-t-il dit. La conduite des radicaux dans les derniers efforts qui viennent d’être faits pour une conciliation a été indigne. Ils n’ont rien voulu sincèrement ; ils se sont moqués de tout… Mais que va faire la France ? qu’allons-nous faire ? Pensez-vous véritablement, monsieur l’ambassadeur, que nous laissions écraser ces braves gens ? Voilà qu’on va jeter quatre-vingt mille hommes sur eux. Vont-ils être massacrés devant nous ? La conduite de l’Autriche est inconcevable. Et là, M. Peel m’a dit cette phrase que je citais hier, « que la conduite de M. Kaysersfeld produirait un effet tout aussi malheureux que celui qu’avaient produit les précédentes démarches de l’Angleterre. »

« Et comme je ne répondais pas partie par surprise et partie par embarras, M. Peel continua :

« Mais ne ferez-vous donc rien ? Un mot de vous suffirait. Ils ont une peur énorme de vous ; ils sont poltrons, très poltrons, je vous assure…

« — Je crains de vous affliger, mon cher Peel, mais, si nous laissons écraser ces braves gens, la faute en aura été en grande partie à la conduite tenue ici par l’Angleterre. On ne peut, dans ces affaires, agir qu’avec et par l’opinion, et, sans l’attitude que votre pays a tenue, l’opinion chez nous et au dehors nous eût laissé une liberté d’action que peut-être nous eussions pu employer plus utilement en faveur des conservateurs.

« — Mais enfin ne pourrions-nous pas nous mettre d’accord ? Je vous en assure, monsieur l’ambassadeur, je suis convaincu, je suis tout-à-fait dans vos sentimens, et je veux encore vous remercier de l’accueil que vous m’avez toujours fait, même lorsque nos sentimens n’étaient pas les mêmes. » Je répondis à M. Peel qu’il n’était jamais trop tard pour chercher à établir le bon accord entre nos gouvernemens. Nous nous séparâmes très unis, mais très tristes[1]. »

À vingt-quatre heures de distance du moment où M. Peel tenait à M. de Bois-le-Comte le langage qu’on vient de lire, lord Palmerston faisait faire par M. de Bunsen, ministre de Prusse à Londres, une ouverture de même nature à M. de Broglie.

« Avant-hier, 30 octobre, vers sept heures du soir, on m’a annoncé M. le ministre de Prusse. Étonné de sa visite à cette heure tardive, je ne l’ai pas été moins de l’ouverture qu’il me venait faire. « Je quitte, m’a-t-il dit, lord Palmerston :

  1. Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, 31 octobre 1847, n° 172.