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plus le XVIIe siècle, c’est le XVIIIe. Ce n’est plus la grande école de Descartes qui règne en philosophie, c’est Condillac. Engagée sur les traces de Bacon et de Loche, la philosophie recommande sans cesse la méthode d’observation. Les précepteurs, les moralistes du siècle, ce ne sont plus Nicole et Labruyère ; c’est l’auteur des contes philosophiques, c’est l’auteur du livre de l’Esprit. Quels effets vont naître de cette révolution ? Au contact de la philosophie expérimentale, les sciences naturelles, la chimie, sont renouvelées ou créées. En entendant la philosophie prêcher, tantôt avec une haute raison, tantôt avec une déplorable licence, ici l’examen qui confond le mensonge, là le relâchement et le scepticisme, voyez aussi comme la raison du pays se modifie ! Le bon sens s’avive, il descend dans les masses ; mais, en s’universalisant, il s’abaisse ; de réglé et de solide, d’élevé et d’affirmatif qu’il était naguère, il devient hardi, brillant, étendu, fin, mais railleur et négatif. Qui a produit ce changement prodigieux ? Tout le monde le reconnaît, c’est la philosophie du XVIIIe siècle. N’y aurait-il donc pas un peu de légèreté et d’oubli à négliger, à dédaigner cette puissance qui modifie et entraîne toutes les autres ? Le bon sens moderne, en la niant, ne se montrerait-il pas tout ensemble bien ingrat et bien incomplet ?

Le rôle de la philosophie serait-il donc terminé en face de ces temps de troubles ? Nous ne le croyons pas, et tant s’en faut ! On entend dire comme chose désormais acquise que la philosophie est un anachronisme, qu’elle n’a été que l’exercice fortifiant peut-être, mais vide par lui-même, de la jeunesse des peuples essayant en tous sens des forces qu’ils préparaient pour de plus sérieuses, pour de plus utiles applications, et qu’elle a perdu tout intérêt en présence des réalités du présent. Mais ces réalités, que sont-elles donc, si ce n’est la philosophie passée dans les pensées et dans les actes, dans l’opinion et dans les institutions ? Toutes les fois que nous remuons ces grands mots de droit, de liberté, de devoir, de justice, d’égalité, de progrès, que faisons-nous, sinon remuer le fonds essentiel de la philosophie ? Que nous en soyons fiers ou humiliés, peu importe : elle nous presse de ses résultats ; elle nous a dotés des deux ou trois grandes vérités politiques et législatives déposées dans notre état social ; en bien, et, je l’avoue aussi, souvent en mal, elle est partout présente.

Puis donc qu’il y a une bonne et une mauvaise philosophie, comme une religion éclairée ou superstitieuse, comme une politique sage ou folle, comme une science vraie ou trompeuse, il semble raisonnable de rechercher quelle est la vraie philosophie sociale et politique ; car qui réfutera, si ce n’est elle, de tristes systèmes ? Qui chassera l’erreur des esprits ou l’empêchera d’y pénétrer ? Non que nous comptions, sans doute, sur son efficacité contre des sectaires endurcis, contre les