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la nation. Cette motion, qui fut rejetée à une forte majorité, fut cependant l’occasion du seul débat où l’existence du ministère anglais ait été réellement engagée : elle renfermait une attaque qui s’adressait à sir Robert Peel aussi bien qu’au ministère ; car, dans les collègues de lord John Russell, M Disraëli combattait moins des ministres whigs que les continuateurs de la politique commerciale de 1846. Sir Robert Peel le comprit ainsi ; il vint en aide au cabinet, et porta avec le ministre de l’intérieur, sir George Grey, tout le poids de la discussion. Il revendiqua l’honneur et la responsabilité de son œuvre, et, suivant M. Disraëli pas à pas dans toutes ses attaques, il entreprit d’établir que ses propres prévisions n’avaient point été trompées. Ce discours, on le comprend, est la principale pièce du procès.

M. Disraëli prétendait qu’une enquête parlementaire aurait pour résultat de démontrer qu’en janvier 1846 toutes les branches de la richesse nationale prospéraient, et qu’en juin 1848 elles étaient toutes dans un état de souffrance profonde. Il ajoutait qu’au moment où il parlait, cette souffrance n’avait fait que s’accroître. Cependant la tranquillité intérieure n’avait point été troublée, aucune opposition n’avait été faite au ministère ; celui-ci n’avait point hérité d’embarras antérieurs, puisque, à son arrivée au pouvoir, les recettes dépassaient les dépenses. Le ministère ne pouvait donc renvoyer ni aux événemens ni à personne la responsabilité du changement désastreux survenu dans la situation de l’Angleterre ; ce changement était bien le résultat de la politique commerciale inaugurée par sir Robert Peel et pratiquée par lord John Russell. Le mérite de l’ouvre se reconnaissait à ses fruits.

C’était là une thèse spécieuse que M. Disraëli a développée avec beaucoup d’art et qui fournissait à sa verve satirique d’abondans matériaux ; mais M. Disraëli choisissait mal son terrain : en se faisant un argument de la prospérité dont jouissait l’Angleterre au commencement de 1846, il amnistiait toute l’administration de sir Robert Peel, sauf l’abolition des lois sur les céréales, et sir Robert Peel ne manqua pas de se prévaloir de cet aveu échappé à son ennemi le plus acharné. En outre, en prenant pour second terme de sa comparaison l’année 1848, M. Disraëli mettait ses adversaires en droit de lui objecter qu’il choisissait une année exceptionnelle, et qu’il s’armait d’une détresse passagère facile à expliquer par une disette en Irlande, par la crise des chemins de fer et par le contre-coup des révolutions européennes.

L’orateur tory croyait aller au-devant de l’objection en alléguant que la famine de l’Irlande avait été un mal local, que les spéculations sur les chemins de fer remontaient aux années antérieures, et enfin qu’en 1848 les exportations de l’Angleterre n’avaient point diminué malgré la crise révolutionnaire. M. Disraëli ne pouvait cependant se dissimuler