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furent extrêmes ; un comité fut nommé par la chambre des communes, et tous les agriculteurs interrogés par ce comité s’accordèrent à prédire la ruine de l’agriculture anglaise. Cette ruine ne s’est pas réalisée, parce que les craintes conçues étaient exagérées ; il en sera de même cette fois, parce que le désespoir des classes agricoles vient en grande partie d’une peur sans fondement. — Sir Robert Peel reconnaît volontiers que les fabricans anglais sont les meilleurs juges de tout ce qui touche à leurs intérêts : ne met-il pas une inégalité trop grande entre l’intelligence du fabricant et celle de l’agriculteur anglais ?


II

Nous sommes tout prêt à faire très large la part de l’exagération dans le concert de plaintes qui s’élève de tous les coins de l’Angleterre ; mais il faut faire aussi la part d’une incontestable détresse. Sir Robert Peel lui-même ne nie pas que les souffrances de l’agriculture ne soient considérables. Sir George Grey, avant lui, avait fait le même aveu dans les termes les plus explicites ; lord John Russell l’a reproduit après lui. M. Slaney, qui a combattu la motion de M. Disraëli, a commencé par reconnaître, au début de son discours, que la classe agricole était en proie à une détresse extrême, qu’on pouvait attribuer en partie à l’abolition des corn-laws et à l’avilissement du prix des grains, qui a été la conséquence de cette mesure. Il n’est pas un orateur, pas un journal, qui ait essayé de contester ce fait. Les protectionistes anglais sont donc parfaitement en droit de mettre les free-traders en présence de leurs discours et de leurs promesses d’autrefois, et de leur demander ce qui est advenu de toutes leurs belles paroles. À entendre autrefois M. Cobden, l’abolition des corn-laws devait tourner au profit de l’ouvrier, du fermier et même du propriétaire. Selon M. Hume, elle devait faire réaliser à la nation entière une économie de 50 millions de francs par semaine. Ni les propriétaires ni les fermiers ne se’ sont encore aperçus qu’ils aient rien gagné à ce changement ; quant aux ouvriers, on a vu que la diminution des salaires était venue détruire pour eux le bénéfice de la diminution des céréales. Aucune des promesses qu’on faisait, il y a trois ans, à l’agriculture ne s’est réalisée.

M. Cobden disait, par exemple, que les fermiers anglais n’avaient nul besoin d’un tarif protecteur, attendu que la nature leur assurait sur les étrangers un avantage permanent de 10 shillings par quarter. Il estimait en effet à cette somme les frais de transport, de commission, d’emmagasinement, etc., des grains que le producteur russe ou américain voudrait envoyer sur les marchés de la Grande-Bretagne. M. Cobden, il y a trois mois, répétait encore cette assertion dans un meeting tenu à Leeds. Cette protection naturelle s’est trouvée n’être qu’un songe. Pendant toute l’année 1848, la farine a été transportée de New-York