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jour amenait pour lui un triomphe nouveau ; il se complaisait à exposer les doctrines nouvelles ; il invoquait le témoignage de ces illustres écrivains anglais qui ont créé la science de l’économie politique, et, en regard du présent, il montrait l’avenir, que son imagination paraît des plus brillantes couleurs. Cette année, au contraire, M. Cobden était sur la défensive ; il rencontrait partout le souvenir de ses promesses passées ; il lui fallait expliquer comment la détresse actuelle n’infirmait en rien ses doctrines ; il lui fallait avouer que les effets bienfaisans du libre échange devaient être achetés au prix d’une crise plus ou moins longue à traverser, et que les peintures séduisantes qu’il en avait faites s’appliquaient à l’époque où toutes choses seraient rentrées dans l’état normal. Une semblable thèse prête moins à l’éloquence ; il est difficile de passionner les masses avec une apologie. On remarqua que M. Cobden, après avoir annoncé qu’il irait chercher M. Disraëli jusqu’au fond du comté de Buckingham, dont il est le représentant, évita de se trouver à Aylesbury en plein soleil et un jour de marché, et préféra y venir haranguer une cinquantaine de personnes dans le coin d’une auberge le soir même du jour où, à quelques lieues de là, l’orateur tory, en présence d’une nombreuse et brillante assistance, constatait que son antagoniste fuyait le grand jour. M. Cobden s’est irrité du demi-succès qu’il obtenait, et, dans quelques villes manufacturières, où il se sentait plus à l’aise, parce que tout y est prospère aujourd’hui, à Leeds par exemple, il s’est laissé aller à des menaces imprudentes contre les protectionistes, annonçant même que les libre-échangistes auraient recours à la force, si on voulait remettre en question l’abolition des corn-laws. M. Cobden s’est bientôt aperçu de la faute qu’il avait commise. À ces menaces, d’autres menaces ont répondu. À York, en présence de plusieurs membres de la pairie et de la chambre des communes, en présence du maire d’York, un fermier a rappelé les paroles de M. Cobden, et a ajouté, au milieu d’applaudissemens frénétiques, que si les lords du coton s’avisaient jamais de déployer l’étendard de la guerre civile, les fermiers se lèveraient à leur tour, et ne s’arrêteraient qu’après avoir pendu Cobden et obligé M. Bright à remplir le rôle d’exécuteur. Ce n’est jamais impunément qu’on fait appel aux passions violentes. Quelques paroles agressives et menaçantes de M. Cobden ont suffi pour changer le caractère des deux agitations qui se poursuivaient simultanément en deux sens contraires. Les protectionistes avaient convoqué un meeting à Hinckley, petite ville où l’on fabrique beaucoup de chaussures, et où la diminution du blé n’a amené encore aucune réduction dans les salaires. Les ouvriers cordonniers promenèrent dès le matin dans la ville un grand pain entre deux morceaux de lard avec cette inscription : « Liberté du commerce. » Derrière venait un pain de la plus petite dimension, auquel était suspendu un hareng saur avec cette inscription :