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un événement imprévu peut transférer facilement le pouvoir des whigs aux tories, et rien ne permet de prévoir quel serait en ce moment le résultat d’une élection générale. Il a donc résolu d’employer son pouvoir présent à assurer à son parti la possession de l’avenir. Une nouvelle réforme électorale, si elle pouvait être imposée au parlement actuel, aurait pour effet de fortifier dans les élections futures l’influence des classes commerçantes et d’affaiblir d’autant les chances de l’aristocratie foncière. Lord John Russell, qui, l’année dernière, combattait encore comme inopportune toute demande de réforme et faisait le procès au suffrage universel, s’est décidé à proposer ce qu’il repoussait il y a six mois. En même temps que se répandait la nouvelle du choix fait de M. Villiers pour présenter l’adresse, le Times annonçait, d’une façon semi-officielle, qu’un paragraphe du discours de la reine recommanderait au parlement l’extension du droit électoral. Le projet ministériel est maintenant connu dans ses principaux détails, et il aura pour conséquence d’augmenter considérablement le nombre des électeurs. L’alliance du parti whig avec le parti radical va donc être cimentée par un lien de plus.

Les tories, contre toute attente, ont accueilli cette nouvelle avec une extrême froideur. Ils avaient coutume de dire qu’ils avaient accepté la réforme de 1831, mais à la condition qu’elle serait définitive, et qu’il ne serait plus question de toucher aux vieilles institutions de l’Angleterre. Leurs journaux ne se sont point armés contre le projet de lord John Russell de ce qu’on appelle au-delà du détroit « le principe de finalité. » Ils ont déclaré, au contraire, que la loi électorale actuelle étant très mauvaise, les tories se prêteraient à toute modification qui aurait pour effet d’assurer une plus grande sincérité à l’expression de la volonté nationale. Les tories se montrent fort rassurés sur l’extension du droit de suffrage, et même sur le suffrage universel, depuis l’expérience qui en a été faite en France. Ils se flattent qu’ils entraîneraient avec eux toute la population des campagnes et acquerraient par là une supériorité incontestée. Ils savent d’ailleurs qu’il ne s’agit point encore de suffrage universel, et ils croient n’avoir rien à appréhender d’une extension de l’électorat. Dans beaucoup de petites villes anglaises, le commerce de détail ressent le contre-coup de la détresse des fermiers. Ceux-ci, en effet, ne se contentent pas d’économiser sur leurs dépenses personnelles ; ils emploient beaucoup moins d’ouvriers ; ils ont renoncé à tous les travaux d’amélioration, et les ouvriers agricoles sans ouvrage, en retombant à la charge des paroisses, perdent le moyen d’alimenter le commerce de détail. Le protectionisme est donc assuré de trouver des alliés jusque dans les rangs du commerce.

Aussi est-ce moins l’extension de la franchise électorale que la distribution des collèges électoraux qui peut porter un coup funeste au