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même de Marseillaise possible. À entendre dès à présent ses promoteurs, on voit où elle irait chercher le vocabulaire de son éloquence, et la mort où elle nous enverrait serait véritablement la mort sans phrases.

Cette intime solidarité entre la politique et la littérature explique pourquoi deux fois depuis un mois l’Académie a disputé l’attention publique à l’assemblée nationale, et pourquoi la politique y a pénétré, presque à l’insu de ceux-là même qui l’y introduisaient. Assurément, M. de Noailles et M. de Saint-Priest avaient cent bonnes raisons pour ne pas parler de politique à l’Académie, et entre autres le sentiment de réserve qui porte toujours les hommes de goût à ne pas trop parler des affaires de leur métier. Il n’y a pas eu moyen cependant de l’éviter. La politique s’est retrouvée sous leurs plumes, non pas cette politique bruyante qui vit d’émotions et s’exalte pour des noms propres, mais la politique élevée, paisible, qui se nourrit de méditations, qui se mêle à tous les mouvemens de l’ame, et qui finit par pénétrer, en quelque sorte, à tel point l’intelligence, que toutes les pensées en portent l’empreinte. Cette politique a pris, chez M. de Noailles, une teinte mélancolique qui convenait au génie dont il consacrait le souvenir, et au passé dont il réveillait la cendre éteinte. M. de Saint-Priest lui a donné, au contraire, un tour vif, railleur, il l’a répandue sur tout son discours avec une légèreté élégante. Entre ces deux procédés si divers, il y a plus de rapports qu’on ne le pense. L’ironie et la mélancolie sont deux formes du doute, et le doute est, quoi qu’on fasse, au fond de l’esprit de tous ceux qui, de nos jours, ont réfléchi ou travaillé pour voir leurs réflexions déçues et leurs travaux emportés.

M. de Saint-Priest s’est montré, dans son discours, tel que les lecteurs de cette Revue le connaissent : toujours net et piquant dans son style, toujours impartial et sensé dans ses jugemens ; du XVIIIe siècle, par la précision et la sobriété de la forme, par un certain cachet de distinction, d’originalité personnelle, qui manque d’ordinaire à notre âge, toujours imitateur et trop souvent vulgaire ; du XIXe, par la largeur de la critique et l’intelligence des idées d’autrui. Cette critique large, cette intelligence étendue, avaient beau jeu pour se développer. De M. Ballanche à M. Vatout, quelle distance à parcourir ? que de cordes à toucher d’un bout à l’autre du clavecin ! M. de Saint-Priest a insisté avec goût sur ce rapprochement que le hasard amenait et que l’art eût évité : il ne savait pas ou n’a pas pu dire que l’orateur achevait le piquant contraste formé par la réunion des deux oraisons funèbres. M. de Saint-Priest, qui sait toujours ce qu’il dit et même un peu plus qu’il n’en dit, ne ressemblait guère, en ce point, à M. Ballanche, et sa plaisanterie, toujours prise au fond de sa pensée et soigneusement cachée derrière ses mots, n’est pas précisément celle de M. Vatout. Cette plaisanterie est pourtant ce qui lui a permis de donner à son discours