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Sitôt que le soleil, de ses lèvres d’amant,
Portant la vie en elles,
Rougit sous ses baisers et presse doucement
Les neiges éternelles.

Ce mont n’a pas de feux, mais pas de gouffre obscur,
Pas de cendres éteintes ;
Mais les rayons du ciel embrasent son front pur
De leurs plus vives teintes ;

Il emprunte d’en haut tout l’éclat dont il luit ;
Sa blancheur se colore
De l’or ardent du soir, du bleu pur de la nuit,
Des roses de l’aurore ;

Ses pieds sont revêtus du frais émail des prés,
Et ses flancs pour ceinture
Ont la chaste forêt où les chênes sacrés
Grandirent sans culture,

Où le neigeux ravin, tout en fleurs au printemps,
Nous offre un lit suave.
Mais le mont plein d’éclairs se hérisse en tous temps
De scorie et de lave.

Or, quand tout flot tarit, éternel réservoir,
Source où l’été s’abreuve,
De ses grottes d’azur le glacier fait pleuvoir
L’eau mère du grand fleuve.

Telle est la froide cime : une vive lueur
Sur sa neige étincelle,
Et la fertilité coule avec sa sueur
Dès que son front ruisselle.

O mon cœur ! pour qu’en toi le sommet nourricier
Garde sa sève austère,
Sois donc ainsi ! pareil aux neiges du glacier
Plus qu’aux feux du cratère.


VICTOR DE LAPRADE.