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la politique ; d’éclatans exemples nous disent tout ce qu’y perdent les poètes ; seulement, nous n’osons accepter comme sincère cet épilogue un peu railleur, surtout quand nous le rapprochons des pages qui le précèdent. M. de Musset a beau dire, il a connu d’autres muses que ces muses légères et juvéniles qui murmuraient à son oreille les doux noms de Ninette et de Ninon. Déjà les Nuits, Rolla, l’Espoir en Dieu, ont révélé en lui la maturité de la passion ; celle de l’esprit ne lui fera pas défaut, quand il voudra se souvenir que, dans nos temps périlleux et austères, la tâche du poète devient plus sérieuse et plus grave. Cette tâche, nous le savons, n’est pas facile à préciser ; on comprend l’éloignement et la répugnance ; on comprend cette persévérance à se tenir à l’écart, à vivre de ses amours et de ses rêves comme dans les beaux jours de sécurité et de jeunesse, à se jouer avec le rayon charmant que mit en vous la bonne fée, et qui change en diamans et en perles les larmes et la rosée du matin. Le Caliban révolutionnaire a de trop hideuses allures pour qu’Ariel ne soit pas excusable de s’enfuir bien loin à tire-d’aile, de se dérober à la fumée et au bruit dans un de ces nuages d’or trop légers pour que l’orage y gronde, et qui s’envolent vers les régions sereines, entre l’horizon et l’azur. Il y a plus : dans un moment où certains de nos illustres, non contens de déserter la Muse, n’ont pas craint de la profaner en faisant de leur gloire littéraire une sorte de prospectus à leur initiative politique, et de leur rôle politique un moyen d’accréditer auprès du vulgaire leur génie et leurs livres, on trouve quelque chose d’aimable, j’allais dire de touchant, dans la modeste obstination de ce poète qui persiste au milieu d’un tel conflit de grands hommes, et reste fidèle à ses mélodieuses tendresses parmi toutes ces voix qui s’amplifient. Cette humilité tempérée d’ironie, cet à parte insouciant, cette répugnance à se commettre avec les gros sophismes et les gros mots, n’ont rien qui surprenne chez l’écrivain qui représente le mieux de nos jours les vraies traditions de l’esprit français, avec le mélange d’attendrissement et de rêverie qu’y ont ajouté les douleurs de notre siècle ; car M. de Musset, qu’on ne s’y trompe pas, est bien plus héritier direct de cet esprit-là que d’autres poètes plus officiellement célèbres, chez lesquels la corde banale, grossissant la note et le son, vibre plus complaisamment ; bien plus qu’eux, il a le droit de démentir, de repousser le Heu ! liquidis immisi fontibus aprum, dont quelques-uns de ses rivaux poétiques se sont, hélas ! chargé la conscience.

Et cependant c’est un mal, c’est un tort peut-être, c’est au moins une lacune, qu’un talent si fin n’ait pas, dans ce volume qu’il publie, persiflé ces folies, ces travers, ces doctrines perverses, qui ont leur côté ridicule comme leur côté dangereux. M. de Musset n’a-t-il pas prouvé qu’il savait aussi rencontrer à ses heures la verve sincère, la vive et franche inspiration de Mathurin Regnier, non moins que l’idéale ironie et la fantaisie étincelante ? À une époque paisible, où les mensonges et les passions qui nous menacent n’existaient encore qu’en prélude, en symptômes précurseurs, dans une sorte de travail mystérieux et souterrain qui s’accomplissait aux bas-fonds de la société avant que l’explosion révolutionnaire les fit jaillir et éclater à la surface, M. de Musset n’écrivait-il pas son admirable satire sur la Paresse, que nous retrouvons dans ce volume, et où l’on rencontre ces vers, qui nous sont revenus souvent en mémoire pendant nos sanglantes collisions :