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confession et surtout avoir le ferme propos de revenir au bien. Il est commode de dire tantôt que l’Université fait beaucoup de mal et tantôt que le clergé ne fait pas beaucoup de bien, et, pendant ce temps, on se représente soi-même comme étant dans l’état d’innocence primitive ; on se trouve à la fois malheureux et innocent : sort digne d’intérêt et qui nous attendrit sur nous-mêmes. Aussi les plus mondains sont-ils, par le temps qui court, les plus empressés à se plaindre de l’état du monde et à regretter les dures austérités de l’école et du couvent, à la condition de ne s’imposer aucune privation. Quels saints ils auraient été, s’ils avaient été élevés pour cela ! Saint Jérôme quittait Rome pour le désert ; ceux-ci ne vont pas au désert et restent à Paris ; seulement, ils veulent qu’on leur sache gré de la vocation qu’ils auraient eue pour la Thébaïde, et ils veulent surtout qu’on sache mauvais gré à l’Université de ce qu’ils n’ont pas la vocation.

Ce n’est pas d’aujourd’hui, au surplus, que la société s’en prend aux écoles des maux qu’elle ressent. Toutes les vieilles sociétés en sont là. Il y avait dès le temps de Quintilien des pères de famille, et ce n’étaient pas toujours les plus sévères dans leur vie, qui se plaignaient de la corruption des écoles. À cela, que répondait Quintilien ? Que si les mœurs se corrompent parfois dans les écoles, elles se corrompent aussi, hélas ! dans la maison paternelle, et que les mauvais exemples font autant de mal pour le moins que les mauvais discours. Corrumpi mores in scholis patant ; nam et corrumpuntur interim, sed demi quoque ; et sunt multa ejus rei exempla. Plût à Dieu, continue Quintilien, que nous ne perdissions pas nous-mêmes les mœurs de nos enfans ! À peine nés, nous les énervons par la délicatesse. Cette éducation molle, que nous appelons indulgente, ôte la force et la vigueur à l’esprit aussi bien qu’au corps… S’ils disent quelque chose de licencieux, c’est pour nous un divertissement ; nous accueillons avec des rires et des baisers des mots que nous supporterions à peine dans des orgies égyptiennes. Pourquoi s’en étonner ? C’est nous qui les leur avons appris ; c’est de nous qu’ils les ont entendus ; ils sont témoins de nos passions et de nos plaisirs criminels… Tout cela passe en habitude, bientôt après en nature. Les enfans apprennent ainsi le vice avant de savoir qu’il y a des vices, et voilà comment, débauchés et énervés avant le temps, ils viennent dans les écoles, non pas y prendre la corruption, mais l’y apporter. Non accipiunt ex scholis mala ista, sed in scholas afferunt.

À Dieu ne plaise que nous soyons disposés à reconnaître les traits de la civilisation moderne dans ce portrait de la civilisation romaine ! Nous ne voulons indiquer qu’une seule analogie ; la famille accuse l’école, et l’école accuse la famille. Toutes deux ont raison l’une contre l’autre ; mais à quoi leur sert d’avoir raison ? À quoi leur sert de se trouver mutuellement coupables ? Ne vaudrait-il pas mieux employer mutuellement leurs forces à se repentir et à se corriger ? Telle était la conclusion à laquelle arrivait naguère M. Albert de Broglie dans les réflexions sur la loi de l’instruction secondaire qu’il a publiées dans ce recueil. Il remarquait que la société avait mauvaise grace à demander à l’Université la rectitude de sentimens et l’austérité de vie, toutes les vertus enfin dont elle se dispense elle-même. Comme nous différons, sur beaucoup de points et particulièrement sur le choix des remèdes, d’avec M. Albert de Broglie,