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dont on était alors disposé à faire soi-même bon marché. En se rappelant, d’un côté l’attitude politique du clergé, si constamment favorable à la cause populaire depuis l’ouverture de l’assemblée nationale jusqu’au fatal projet de la constitution civile, en se souvenant aussi de l’empressement avec lequel la noblesse fut elle-même au 4 août 1789, au-devant du sacrifice de ses derniers privilèges, il est impossible de méconnaître la pureté des intentions et l’admirable désintéressement que tous les représentans de la nation française apportèrent aux débats de l’assemblée. Comment de si hautes et si généreuses pensées aboutirent-elles à de si terribles catastrophes ? quelles cause détournèrent si soudainement le cours d’une révolution qui s’ouvrait large et facile ? comment enfin ce port heureux de l’égalité civile, de la liberté politique et de la monarchie constitutionnelle, où la France semblait toucher à l’ouverture des états-généraux, ne s’est-il ouvert pour elle qu’après vingt-cinq ans de luttes sanglantes et de mutuelles proscriptions ? Ce travail aura pour but d’expliquer cette déplorable déviation, en faisant remonter à certains hommes et à certains actes une responsabilité dont on a fait tant d’efforts pour les dégager en l’imputant à la fatalité des circonstances.

Les progrès de l’homme sur cette terre d’épreuves sont toujours achetés par de longues souffrances, et les nations enfantent aussi dans la douleur. Cette loi mystérieuse, qui a ses racines dans les profondeurs mêmes de notre nature, pesa de tout son poids sur la France au temps de sa transformation politique, et ce fut à travers une voie douloureuse qu’elle s’achemina vers le but qu’elle se croyait déjà si près d’atteindre. Trois intérêts se trouvèrent d’abord en présence : celui de la bourgeoisie, celui de la noblesse et celui de la royauté. L’analyse des causes secondes mises en jeu par la Providence pour son œuvre d’expiation et de justice permet d’imputer une part à peu près égale dans nos malheurs à l’esprit irréligieux de la bourgeoisie, au défaut complet d’esprit politique chez la noblesse et à l’absence de toute initiative et de toute résolution du côté de la royauté.

Le tiers-état avait ses passions comme tous les grands corps ; on ne saurait s’étonner qu’il en ait subi l’influence. Ces passions étaient, en effet, les élémens mêmes de sa vie sociale, et, en suivant à travers l’histoire les développemens de la bourgeoisie française, nous les avons vus se résumer en trois points : chaleureux dévouement à la royauté, seul représentant possible du pouvoir administratif centralisé ; inimitié incurable contre l’aristocratie de naissance ; suspicion constante contre l’influence exercée par le clergé dans l’ordre temporel. Ce fut sur ce dernier sentiment que se greffa, au XVIIe siècle, l’hérésie janséniste ; ce fut par lui que le jansénisme descendit fort avant dans les classes moyennes, à l’esprit desquels il ne convenait pas moins par