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l’église avait consenti à mettre sa démocratique hiérarchie au service de la cour. L’épiscopat était devenu, comme le cordon bleu, un privilège de la naissance ; et chez les plus pieux évêques les préjuges du gentilhomme s’unissaient aux vertus de leur état. La vie et le génie, qui en est la splendeur, semblèrent se retirer de l’église gallicane, après qu’elle eut vendu son droit d’aînesse pour de tristes avantages et mis sa jeunesse éternelle à l’abri d’un pouvoir vieillissant. On avait vu le clergé français suivre Louis XIV à l’extrémité de toutes ses entreprises. Lorsque dans sa jeunesse ce prince altier menaçait le saint-siège, il n’y avait pas eu un avertissement pour l’arrêter à la limite du schisme ; lorsque, plus tard, Louis traqua ses sujets protestans, imposant sa foi royale de la même autorité qu’il prescrivait la légitimation de ses bâtards, le clergé gallican avait eu le malheur d’applaudir ces actes sauvages. La déclaration de 1686 et la révocation de l’édit de Nantes pesaient sur les prélats de cour d’un poids égal. Sous la régence, ceux-ci n’avaient pas résisté, lorsqu’un prince conçut l’insolente pensée de donner l’abbé Dubois pour successeur à Fénelon, et le nouvel archevêque de Cambrai avait trouvé des consécrateurs nombreux et empressés. Sous Louis XV, le clergé s’était tu devant des monstruosités dont l’univers chrétien croyait que la Rome des Césars avait emporté pour jamais le nom et le souvenir. Durant tout le cours du XVIIIe siècle, il avait déployé peu de zèle et peu de lumière ; il s’était montré faible par l’intelligence et par la charité, et il avait laissé passer en des mains ennemies le feu sacré de la science, l’un des dons de l’esprit de vérité. La masse de ce clergé était d’ailleurs pleine de foi, et beaucoup moins répréhensible, sous le rapport des mœurs, que le monde n’affectait de la croire et de le dire ; Une seule chose lui manquait pour retrouver sa puissance morale, la rupture des liens qui l’enchaînaient àa la société politique ; mais, du sein de sa miséricordieuse justice, Dieu allait épancher sur lui ce trésor des persécutions où l’église se retrempe comme l’ame humaine, il allait rendre toute sa force à cette parole des premiers wiècles, que le sang est la semence des chrétiens[1].

Une bourgeoisie qui méconnaissait le sens chrétien de l’œuvre d’émancipation préparée pour le monde, un clergé, mou et tiède, une noblesse dont l’éducation avait égaré le dévouement et faussé les instincts généreux, tels étaient donc les élémens qui, allaient se mêler dans la fournaise ardente où fermentaient tant de passions. Aucune de ces forces ne pouvait évidemment ni se conduire elle-même ni dominer les autres, et une seule chance s’offrait pour la solution régulière de tant de difficultés : c’était que le seul pouvoir alors respecté par les

  1. Sanguis est semen christianorum (Tertull., Apolog.)