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avait cessé de diriger une société dont le gouvernement n’était désormais pour elle, qu’un moyen de battre monnaie et de payer de honteux plaisirs. La royauté avait perdu, avec le respect d’elle-même, le sens politique qui avait fait sa force ; confinée dans la corruption et dans l’égoïsme, elle n’avait plus de mission sociale, et, après avoir été l’ame de la France, elle en était devenue le chancre.

Ce fut alors que les vues impénétrable de la Providence élevèrent sur le trône comme sur un Calvaire la victime dont les vertus n’eurent pas la puissance détourner le cou de tant de fautes accumulées, mais dont le sang n’a sans doute pas coulé en vain pour la France et sur sa race. Louis XVI, qui, par la pureté de sa conscience, la rectitude de son esprit et la solidité de son instruction, aurait été un admirable roi dans un état bien ordonné, était plus incapable qu’aucun prince de prévenir une révolution, en opérant par sa propre initiative une grande transformation politique. Il se méfiait à la fois des autres et de lui-même ; il voyait toujours le côté faible des idées comme des personnes, et moins de lumières lui aurait peut-être laissé plus de courage. Son esprit, en doutant, faisait promptement vaciller son cœur. Jamais prince ne trouva moins dans ses agens les qualités qui manquaient à lui-même, et il eut vingt ministres sans avoir un conseiller.

On est frappé d’une émotion douloureuse en voyant par quels expédiens et quels subterfuges, par quelle succession de projets incohérens ou bizarres les hommes appelés dans ses conseils s’efforcent soit de prévenir la crise qui s’avance, soit d’en contrarier la direction naturelle. C’est un vieillard infatué, prenant la révolution française pour une fronde, et qui lui oppose des chansons ; c’est prodigue charlatan qui prend pour retarder la banqueroute la même marche que ces notaires en déconfiture qui donnent une fête à la veille de partir pour Bruxelles ; c’est un archevêque qui se croit un Richelieu, parce qu’il porte légèrement le joug de ses devoirs et de son état ; c’est un magistrat à l’esprit raide et court, qui se flatte de faire reculer son siècle en lui opposant des mascarades historiques ; c’est, en remontant plus haut, Turgot lui-même, grand administrateur et grand penseur assurément, qui pourtant, dans ses actes et dans ses plans, s’arrête au côté purement économique de la réforme, et ne paraît pas comprendre que rien n’est désormais possible, au sein de cette société si profondément troublée, avant d’y avoir gravement modifié les conditions du pouvoir politique.

M. Necker aperçut le premier la portée du mouvement qui commençait. Le successeur de Calonne comprit qu’il s’agissait de changer la constitution de l’état, et non pas seulement d’équilibrer les recettes avec les dépenses en réformant quelques parties de l’administration. il vit dès l’abord que la révolution avait une double tendance et marchait