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qui le domine ; et par laquelle se confondent l’irrésistible action de la Providence et l’action spontanée de l’agent responsable. La révolution française est l’un de ces momens où la main de Dieu resplendit plus visiblement, dans son œuvre : pour l’économie de ses éternels desseins, les hommes deviennent ou, les instrumens de sa justice lorsqu’ils versent le sang, ou les instrumens de sa miséricorde lorsqu’ils l’étanchent ; mais, quand on remonte avec quelque sagacité jusqu’à l’origine des mouvemens devenus les plus irrésistibles dans leur cours, il est facile de distinguer le moment suprême où ces mouvemens ont été provoqués, soit par une faute de conduite qui pouvait être facilement évitée, soit par une mauvaise passion qu’on avait alors pleine liberté de combattre. Les factions n’arrivent jamais à perdre leur libre arbitre qu’après avoir abusé de leur liberté, semblables en ceci aux hommes qui ont cessé de s’appartenir à eux-mêmes, mais qui, lorsqu’ils se sentent le plus irrésistiblement entraînés jusqu’au fond de l’abîme, gardent, en remontant aux jours bénis de l’innocence et de la jeunesse, un souvenir distinct de l’heure où pour la première fois le pied leur a glissé sur le bord. Si la stérile analyse des faits conduit à mettre en doute la pleine liberté des agens qui les consomment, une plus vaste synthèse rend bientôt toute son éclatante évidence aux principes générateurs de la moralité humaine.

Rien ne semble d’abord plus irrésistible que la pente qui, de 89 à 93, entraîna la royauté française à sa chute, fit passer la direction du mouvement des classes moyennes aux classes populaires, transforma la monarchie en république, et nécessita la terreur pour triompher de l’Europe. Qui pourrait douter cependant que cette crise n’eût amené des résultats très différens, si Louis XVI avait joint aux vertus de l’homme quelques-unes des qualités du prince, ou si seulement, à la veille d’assembler les états-généraux, dont il décida la convocation, M. Necker avait eu un plan de conduite pour le lendemain ? Les constitutionnels ne dépassèrent si promptement les bornes où ils entendaient s’arrêter, ils ne furent si vite entraînés par le torrent, que parce qu’au début de leur carrière, lorsqu’ils avaient encore le pouvoir d’être justes, ils commirent l’irréparable faute de couvrir de leur indulgence les premiers excès commis contre leurs adversaires, et parce qu’au lieu de venger résolument le premier sang versé, ils eurent le malheur de demander si ce sang était pur. Les girondins ne montèrent à leur tour sur l’échafaud du 31 octobre que parce qu’ils avaient eu la criminelle faiblesse de laisser dresser celui du 21 janvier, et si les montagnards se trouvèrent bientôt contraints d’employer des moyens qui devaient nécessairement entraîner leur propre chute, c’est parce qu’ils avaient systématiquement organisé la terreur pour triompher