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À défaut de l’Angleterre, c’est peut-être dans l’histoire des derniers jours de la république romaine que nous trouverons ces traces humaines que nous cherchons, ce spectacle qui doit nous éclairer sus nous-mêmes. Si nous ne nous laissons pas détourner par les différences de noms et de mœurs, nulle époque, en effet, n’offre, avec nos temps des rapports aussi intimes ; malgré les dix-neuf siècles qui nous séparent, malgré le christianisme qui a renouvelé la face des sociétés, nous n’y rencontrons pas seulement ces apparences et cette physionomie semblables que nous offraient les annales de l’Angleterre nous y retrouvons la ressemblance des esprits, nos pensées, nos impressions de chaque jour, nous-mêmes enfin. Oui, malgré les différences de la forme et du costume, nous sommes plus en sympathie, avec les craintes et les espérances qui agitaient alors le monde romain qu’avec les passions qui mettaient aux prises les puritains et les cavaliers : Seulement, pour saisir et serrer de près tous les points qui rapprochent des temps si éloignés, il faut sortir de l’histoire officielle ; de la représentation pompeuse et convenue : les noms et les habits y jouent un trop grand rôle ; les masques cachent les figures. Heureusement l’antiquité nous a laissé des mémoires qui font tomber ces masques, des mémoires qui ressuscitent pour nous la société romaine au moment même de cette crise suprême qui aboutit dans la politique à l’empire, dans la philosophie au christianisme.

Ces mémoires ; ce sont les lettres de Cicéron. Je n’imagine pas en avoir fait la découverte et ne dirai pas comme La Fontaine : « Avez-vous lu Baruch ? » Nous avons tous lu les lettres de Cicéron ; mais il en est des livres comme des tableaux, qu’il faut regarder à leur jour : il faut que le lecteur soit préparé lui-même, que son œil, éclairé par une lumière nouvelle, retrouve dans des loins effacés, dans des fonds obscurs d’abord et qui paraissaient sans nuance, des traits, des contours, des images qui se révèlent peu à peu à lui. L’histoire est le meilleur commentaire de l’histoire, le lendemain explique ce que la veille avait laissé obscur, nous en savons tous plus sur les révolutions que le pacifique abbé Vertot, qui s’était fait leur historiographe en titre : il n’est rien de tel que d’en avoir vu une pour les comprendre toutes. — Dans le dernier siècle, un homme d’autant d’érudition que d’esprit, le président de Brosses, traducteur de Salluste, avait entrepris la réhabilitation de Catilina, ou plutôt, — car ces jeux imprudens de l’esprit qui consistent à prendre quelque grand criminel, Robespierre ou Danton, pour en faire des saints ou des bergers d’idylle, n’affligeaient pas alors la conscience publique, — le président de Brosses ne croyait pas à la conjuration de Catilina ; il faisait ressortir avec beaucoup de vraisemblance, pour ses contemporains, les monstruosités des plans qu’on prêtait aux conjurés, l’impossibilité de supposer que des