Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/651

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du cirque, les exercices du champ de Mars, les réunions au Forum, partageaient sa journée ; il ne s’occupait guère que de la chose publique, laissant à ses maîtres le profit et l’honneur de fournir à tous ses besoins. C’était l’idéal de cet état de fainéantise souveraine qu’on a voulu ressusciter naguère et nous faire accepter sous le nom dérisoire dedroit au travail. Le citoyen à Rome ne procédait pas par des voies détournées ; il n’acceptait d’autre travail que celui de gouverner le monde :

Tu regere imperio populos, Romane, mémento !

Il n’avait nul souci à prendre de lui-même, la république lui garantissait sa liste civile. — Les dépouilles de l’univers et l’institution de l’esclavage, voilà à quel prix s’alimentait la superbe oisiveté de Rome.

Le procès de Verrès, agrandi par le génie de l’orateur, n’était donc pas une cause particulière qui se plaidât à l’écart dans le sanctuaire de la justice : c’était une accusation politique contre l’aristocratie romaine. On voyait, pour la première fois, ouvertes au grand jour, les sources impures d’où découlaient tant de richesses. Les provinces dépouillées par les concussions étaient les témoins, le peuple le juge, Cicéron l’accusateur ; l’accusé, c’était le patriciat romain. Les plus grands personnages de Rome, les Lentulus, les Scipion, étaient compromis dans cette accusation de Verrès, à la famille duquel ils étaient alliés. Je ne poursuis point des rapprochemens forcés, mais comment ne pas remarquer que la plupart des révolutions sont précédées et presque inaugurées par quelque grand scandale judiciaire ? Rien ne pervertit plus les idées morales des peuples que de voir les rangs supérieurs de la société atteints et flétris par ces cours de justice dont la mission est de juger les malfaiteurs vulgaires. Cette terrible égalité lève toutes les barrières du respect. C’est ainsi qu’avant la révolution de 1789 et celle de 1848, des procès trop fameux sont venus exciter les soupçons populaires et préparer l’explosion des haines sociales.

Après le procès de Verrès commence pour Cicéron une phase nouvelle, et, comme on dit aujourd’hui, la période de gouvernement et de résistance : c’est la seconde époque de sa vie parlementaire. Parvenu au pouvoir par ses attaques éloquentes contre le sénat et les patriciens, nous le voyons occupé à leur rendre ce qu’il avait pu leur enlever de force et d’autorité. Cela est triste à dire ; mais, excepté pour les hommes de guerre, qui, comme César et Napoléon dominent par les armes et s’imposent plus qu’ils ne sont acceptés, c’est presque toujours par les voies de la popularité que le pouvoir s’acquiert. On arrive par l’opposition, puis les bons esprits s’éclairent vite à la lumière des affaires, et adoptent les maximes qu’ils avaient combattues ; car je ne parle pas des ambitieux qui changent par calcul, criant, selon