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On ne saurait contester la noble élévation non plus que les difficultés que présente cette brillante métaphysique. Constatons seulement que, si certaines consciences timorées s’effrayaient de cette autorité divine conférée à la raison, elles doivent s’en prendre également à plus d’un personnage fort honoré dans l’église. M. Cousin cite Fénelon s’écriant « La raison n’est-elle pas le Dieu que je cherche ? » D’ailleurs, pas de milieu : ou l’on doit rejeter tout le spiritualisme comme faux, ou il faut lui donner comme base une faculté supérieure aux misères de la personnalité, infaillible dans une certaine sphère, reconnaissant partout et toujours les mêmes vérités morales, les mêmes axiomes métaphysiques et mathématiques. Diverses par les explications et les traductions qu’elles donnent du principe rationnel, toutes les écoles métaphysiques sont d’accord, de Platon à saint Augustin, de saint Augustin à saint Anselme, de saint Anselme à Bossuet, pour l’élever au-dessus des atteintes du scepticisme en lui reconnaissant un caractère absolu.

Je fais la part des hypothèses. Je ne me porte pas le défenseur officieux de plusieurs propositions philosophiques contestables, dont le résultat le plus net peut-être est de remuer fortement l’intelligence et de mettre en lumière le génie de l’inventeur ou de l’interprète. À quoi bon insister sur cette vérité vraiment fort extraordinaire et fort instructive, qu’un philosophe s’est souvent trompé ? Quoi ! M. Cousin n’a pas découvert la vérité absolue ! Quoi ! il lui est arrivé, malgré les précautions ordinaires d’une méthode excellente, de prendre quelquefois le désir de la vérité pour la vérité même et l’ombre pour la proie ? Oh ! l’utile enseignement et la merveilleuse découverte ! Je préfère m’attacher, je l’avoue, à l’essentiel, et laisser là toute discussion qui pourrait passer pour être purement de luxe. Où je réclame, dois-je le dire ? c’est quand j’entends accuser le philosophe qui a rétabli le spiritualisme en France d’avoir corrompu sa métaphysique par un de ces principes irrémédiables qui auraient pour inévitable effet d’altérer ou plutôt de supprimer entièrement ces vérités morales, ces principes sociaux dont sa doctrine est toute pénétrée, dont elle n’est au fond que la plus noble et la plus énergique revendication. On accuse M. Cousin de panthéisme. Il s’est formé, pour l’accabler sous cette terrible accusation, une croisade bien sainte assurément, s’il faut en juger par le zèle et la persévérance des croisés, au premier rang desquels monseigneur l’évêque de Chartres faisait briller tout récemment encore une valeur digne d’être appuyée par la science et confirmée par la sagesse. De quoi donc s’autorise tout ce grand fracas ? Est-ce de l’admiration de M. Cousin pour Hegel ? Mais ne peut-on admirer Hegel et même le mettre à contribution sans adopter son panthéisme ? Non, la cause de cet épouvantable tumulte se trouve tout entière dans quelques phrases excessives, hyperboliques, je n’hésite pas à le dire même, malheureuses et regrettables,